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leby était enseveli dans une méditation profonde, et semblait prêter à ce tableau peu séduisant une attention qu’il n’aurait certainement pas voulu prêter sciemment à l’examen de la plante exotique la plus rare. À la fin ses yeux s’égarèrent à gauche, sur une autre petite croisée non moins sale, à travers laquelle on voyait confusément la figure du commis, dont il rencontra les regards ; il lui fit signe de venir.

Docile à cette invitation, le clerc laissa là sa haute escabelle, polie comme un miroir par un long commerce avec sa culotte, et se présenta dans le cabinet de M. Nickleby. C’était un homme grand, entre deux âges, avec des yeux à fleur de tête, dont l’un paraissait immobile, le nez rubicond, la face cadavéreuse, un accoutrement mal assorti de vêtements qui montraient la corde, beaucoup trop petits pour sa taille, et où l’on avait ménagé les boutons avec une telle économie, qu’il lui fallait bien de l’habileté pour réussir à les faire tenir sur lui.

« N’est-il pas midi et demi, Noggs ? dit M. Nickleby d’une voix aigre et rude.

— Il n’est encore que vingt-cinq minutes au… (Noggs allait dire : au cabaret ; mais il se ravisa prudemment).

— À Saint-Paul, continua-t-il.

— Ma montre s’est donc arrêtée ? dit M. Nickleby ; je ne sais comment cela se fait.

— Pas montée, dit Noggs.

— Si, dit M. Nickleby.

— Alors démontée, reprit Noggs.

— J’espère que non, répliqua M. Nickleby.

— Il faut bien, dit Noggs.

— C’est bon, dit M. Nickleby, remettant dans sa poche la montre à répétition ; peut-être bien. »

Noggs poussa un petit grognement à son usage, par lequel il terminait toute discussion avec son maître, pour faire entendre que c’était lui qui triomphait, et (comme il parlait rarement si ce n’est pour répondre) il retomba dans son silence bourru, et se frotta lentement les mains l’une contre l’autre, non sans faire craquer successivement ses doigts dans leurs jointures et les serrer de manière à leur imprimer toute sorte de contorsions. Cette habitude routinière à laquelle il satisfaisait à tout propos, et le regard fixe qu’il avait soin de communiquer à son bon œil pour le mettre d’accord avec le mauvais, de manière à dépister le curieux qui aurait voulu savoir de quel œil il regardait, étaient deux singularités de M. Noggs, qui n’en manquait pas, et frappaient tout d’abord l’observateur qui le voyait pour la première fois.