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pénibles et déplorables ; la mort, suite nécessaire des privations, de la faim, du froid, ne pouvait manquer d’atteindre à la longue, dans sa fuite errante, un être si malheureux et si borné, seul, sans amis, à travers un pays qui lui était tout à fait inconnu. Il est vrai que la mort valait bien pour lui le sort qui l’attendait au retour, sous la tyrannie impitoyable du maître de pension de Dotheboys-Hall. Mais ce qui lui brisait le cœur, en pensant aux souffrances que Smike aurait à subir, c’est qu’en fuyant sa prison, sans doute il avait compté sur la sympathie et la pitié de son jeune protecteur. Il était donc abattu, dans une anxiété inexprimable, rêvant une foule de chimères, lorsque le lendemain soir il vit entrer Squeers seul et humilié du mauvais succès de ses recherches.

« Pas de nouvelles du vagabond, » dit-il.

Et l’on voyait dans sa démarche que, fidèle à son vieux principe, il avait dû bien des fois, pendant son voyage, descendre pour se dégourdir les jambes.

« Il faudra que je me console sur quelque autre gibier, Nickleby, si Mme Squeers n’est pas plus heureuse dans sa chasse ; je vous en avertis.

— Je regrette, monsieur, dit Nicolas, qu’il ne soit pas en mon pouvoir de vous offrir les consolations dont vous parlez. Cela m’est bien égal.

— Ah ! cela vous est égal ! dit Squeers d’un ton menaçant ; nous verrons.

— Eh bien ! nous verrons.

— Voilà mon poney qui s’est couronné et que j’ai été obligé de remplacer, pour revenir, par un cheval de louage. J’en ai pour dix-neuf francs soixante-quinze, sans compter les autres frais. Qui est-ce qui me les payera ? qu’en dites-vous ?

Nicolas haussa les épaules et garda le silence.

« Il faudra bien que quelqu’un me les paye, continua Squeers qui avait quitté son ton habituel et ses manières cauteleuses pour prendre ouvertement des airs de bravache. Il ne s’agit pas ici, monsieur le caniche, de faire le beau en remuant la queue ; à cette niche, et bien vite, car voilà l’heure d’aller se coucher. Allons ! qu’on détale. »

Nicolas se mordit les lèvres et serra les poings par un mouvement involontaire, car les doigts lui démangeaient, et il aurait sur-le-champ fait expier à M. Squeers cette insulte. Mais il se rappela que cet homme était ivre, et que ce ne serait qu’une scène de tapage indigne de lui. Il se contenta donc de lancer un regard de mépris à ce petit tyranneau et se mit à