Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/161

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lors, par-dessus le marché, en butte à tous les indignes traitements que peut suggérer une noire malice, ou la plus rapace cupidité.

Encore si on se fût borné là ! Mais on avait inventé un système de vexation bien plus machiavélique qui lui navrait le cœur et le mettait presque hors de lui, tant il était injuste et barbare.

Cette malheureuse créature, Smike, depuis le soir où Nicolas lui avait parlé avec bonté dans la classe, l’avait suivi partout, incessamment occupé des moyens de lui rendre quelque petit service. Il allait au-devant de tous ses besoins pour les satisfaire avec tout le zèle dont son humble intelligence le rendait capable, et se trouvait heureux rien que d’être près de lui. On le voyait assis à côté de lui des heures entières, les yeux patiemment fixés sur sa figure. Un mot de M. Nickleby suffisait pour illuminer son visage altéré par le chagrin, et pour y jeter en passant comme un reflet de bonheur. Il n’était plus le même, maintenant qu’il avait un but. Car il en avait un désormais : c’était de rendre de l’attachement à la seule personne qui, pour lui être tout à fait étrangère, ne l’en avait pas moins traité sinon, comme un ami, au moins comme une créature humaine.

C’était sur ce malheureux que se vengeaient toute la rancune et la mauvaise humeur de chaque instant qui n’osaient s’épancher sur Nicolas. La peine et le travail n’étaient rien pour lui, il en avait si bien contracté l’habitude. Des soufflets donnés sans aucune apparence de raison, il les aurait encore soufferts comme une condition de son rôle misérable, car il avait appris à s’y faire aussi par un long et rude apprentissage. Mais, sitôt qu’on se fut aperçu qu’il s’attachait à Nicolas, c’étaient tous les jours, et le soir et le matin et à midi, des soufflets et des claques, des claques et des soufflets qu’on lui donnait pour tout potage. Squeers était jaloux de l’influence qu’avait gagnée son sous-maître en si peu de temps : quant à sa famille, elle le haïssait. Smike payait donc pour deux. Nicolas le voyait bien et grinçait des dents chaque fois qu’il était témoin de ces vengeances lâches et barbares.

Il venait de faire un plan de leçons régulières à donner aux enfants ; et, un soir qu’il se promenait de long en large dans l’affreuse salle d’étude, son cœur se soulevait à l’odieuse pensée que sa protection et sa bienveillance n’avaient fait qu’accroître la misère de l’être misérable dont l’isolement absolu avait d’abord éveillé sa pitié, lorsque ses pas s’arrêtèrent machinalement dans un coin obscur où était assis le triste objet de ses réflexions.

Le pauvre malheureux se pâmait sur un livre en lambeaux, la