Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fait, pendant qu’il y était, de poudrer aussi sa figure, car il y avait dans ses rides mêmes, et dans son œil glacé, qui n’était jamais en repos, quelque chose qui trahissait un esprit rusé en dépit de ses efforts pour le dissimuler. Bref, quoiqu’il en soit, M. Ralph était donc là dans son cabinet, tout seul, et par conséquent ni sa poudre, ni ses rides, ni ses yeux, ne produisaient le moindre effet, ni bon ni mauvais, sur personne, et n’ont jusqu’à présent rien à faire avec nous.

M. Nickleby ferma un livre de compte qui était ouvert devant lui sur son bureau, puis, se rejetant en arrière dans son fauteuil, il porta d’un air distrait les yeux à travers les vitres poudreuses de sa fenêtre. Il y a à Londres des maisons qui ont sur le derrière un petit bout de terrain bien triste, ordinairement flanqué de quatre grands murs badigeonnés et couronnés d’un rang de cheminées qui n’ajoutent pas à l’agrément du paysage. Là, au fond de ce petit puits, s’étiole, tout le long de l’année, un arbre rabougri qui se donne les airs de vouloir pousser quelques feuilles en automne, à l’époque où elles tombent chez les autres ; puis, succombant sous l’effort, tout crevassé, tout enfumé, il retombe encore une fois dans sa langueur jusqu’à l’été suivant, où il donne une nouvelle représentation avec le même succès. Pourtant, si la température devient par hasard tout à fait favorable, il n’est pas sans exemple que ses branches aient attiré par leur séduction quelque pierrot mélancolique. Il y a des gens qui donnent à ces cours sombres le nom de « jardins ». Pourquoi ? je n’en sais rien. Personne ne peut supposer qu’ils aient jamais été plantés ; il est bien plus vraisemblable que c’étaient dans l’origine quelques tas de déblais restés sans maître, embellis par la végétation qui peut naître dans des plâtras. Quelque panier sans fond, quelques débris de bouteilles cassées qu’on y jette à l’occasion, quand quelque locataire emménage, y restent fidèlement jusqu’à son déménagement ; la paille humide qu’on y dépose met à moisir tout le temps qu’il lui plaît, sans que personne la dérange, et se mêle agréablement au buis rare des bordures, aux arbres verts qui sont jaunes, aux pots à fleurs ébréchés qui sont renversés là, tristement en proie aux limaces, sous les gouttières. Tel était le jardin que M. Ralph Nickleby contemplait à travers la fenêtre, assis dans son fauteuil, et les mains dans ses goussets. Il avait les yeux fixés sur un sapin tortu, planté par quelque ancien locataire dans un baquet, jadis peint en vert, mais qu’on avait laissé, par insouciance, depuis bien des années déjà, pourrir petit à petit tout à son aise. Ce n’était pas précisément un coup d’œil divertissant, mais M. Nick-