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M. Nickleby, et nous devons dire qu’elle avait tort plus de quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent.

« Et puis, disait miss la Creevy, j’ai peur que ce ne soit une occupation pernicieuse à la santé. Je me rappelle bien trois jeunes modistes qui sont venues se faire peindre chez moi quand je commençais mon état : elles étaient toutes les trois pâles et maladives.

— Oh ! ce n’est pas du tout une règle générale, observa Mme Nickleby, car moi je me rappelle, aussi bien que si c’était hier, en avoir employé une, qui m’était particulièrement recommandée, pour me faire un manteau écarlate : c’était alors la grande mode ; eh bien ! c’était une grosse rougeaude, une vraie rougeaude, certainement.

— Peut-être qu’elle buvait, insinua miss la Creevy.

— Je ne sais pas le motif, répliqua Mme Nickleby, mais je sais qu’elle avait la figure très rouge ; vous voyez donc bien que votre raisonnement ne vaut rien. »

Telle était la force de tous les arguments qu’elle rétorquait aux objections qu’on pouvait trouver à faire au parti pris le matin. Heureuse Mme Nickleby ! Il suffisait qu’un projet fût nouveau pour trouver à l’instant dans son esprit bon accueil, et pour y prendre des couleurs séduisantes comme les hochets dorés dont on amuse les enfants.

La question ainsi vidée, Catherine fit part du désir exprimé par son oncle de les transférer dans sa maison vacante, proposition à laquelle Mme Nickleby acquiesça avec la même facilité : elle pensait même avec plaisir à l’agrément qu’elle aurait le soir, quand il ferait beau, d’aller, en se promenant, chercher sa fille à West-end pour la ramener à la maison. Elle n’oubliait qu’une chose dans ses plans, c’est que les belles soirées sont rares, et que le mauvais temps est l’état naturel de Londres.

« Je suis désolée, je vous assure ; je suis désolée de l’idée que nous allons vous quitter, madame, dit Catherine à miss la Creevy dont la sympathie avait fait sur elle une profonde impression.

— Vous ne me mettrez pas pour cela à la porte de chez vous, reprit miss la Creevy avec autant de bonne humeur apparente qu’elle pouvait en mettre dans cette séparation. J’irai vous voir très souvent ; j’irai savoir de vos nouvelles ; et, quand il n’y aurait pas dans toute la ville ou dans tout l’univers un autre cœur pour s’intéresser à votre bonheur, sachez bien qu’il y aura toujours une petite ermite du Strand qui priera pour vous soir et matin. »