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CHAPITRE II.

M. Ralph Nickleby, son établissement et ses entreprises. Grande compagnie par actions d’une vaste importance nationale.

M. Ralph Nickleby n’était pas, à proprement parler, comme qui dirait un négociant ; ce n’était pas non plus un banquier, ni un procureur, ni un avocat consultant, ni un notaire. Ce n’était certainement pas un marchand ; bien moins encore aurait-il pu prendre le titre de quelque spécialité professionnelle, car il eût été impossible de citer une profession connue à laquelle il appartînt. Néanmoins, comme il habitait dans Golden-square une maison spacieuse, ornée d’abord d’une plaque de cuivre sur la porte de la rue, puis d’une autre deux fois plus petite sur le guichet à gauche, juste au-dessus d’une petite main de bronze traversée d’une brochette pour servir de marteau, et qu’on y pouvait lire en grosses lettres le mot bureau, il était clair que M. Ralph Nickleby faisait ou prétendait faire des affaires de quelque nature. Et si l’on en voulait une preuve plus irrécusable encore, on n’avait, pour dissiper ses doutes, qu’à observer la scrupuleuse exactitude avec laquelle, tous les jours, de neuf heures et demie à cinq heures, un homme à face blême, en habit jadis noir, la plume à l’oreille, se tenait assis sur un tabouret extrêmement dur dans une espèce d’office, au bout du corridor, excepté quand il venait ouvrir la porte en entendant sonner dehors.

Quoiqu’il y ait autour de Golden-square quelques maisons occupées par des professions graves, on ne peut pas dire précisément que ce soit sur le chemin de personne, ni que cela mène nulle part. C’est un des squares qui ont fini d’exister, un quartier de la ville qui a disparu du monde et qui ne se compose guère que de chambres garnies. Les premiers et les seconds étages y sont presque tous loués meublés à des célibataires ; on y prend des pensionnaires pour la table. C’est un grand rendez-vous d’étrangers. Les hommes au teint basané, qui portent de larges bagues au doigt, de longues et pesantes chaînes de montre, des favoris touffus, et qui se rassemblent sous les colonnes de l’Opéra, ou dans la saison autour du bureau de location, entre quatre et cinq heures de l’après-midi, au moment où l’on