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— Voilà Nicolas, poursuivait la dame, qui est tout à fait en âge, il est temps qu’on le mette à même de se tirer d’affaire ; et Catherine aussi, la pauvre fille, qui n’a pas un écu pour tout bien. Regardez votre frère, serait-il ce qu’il est, s’il n’avait pas fait des spéculations ?

— C’est vrai, reprit M. Nickleby. Vous avez raison, ma chère ; oui, je ferai des spéculations, ma chère. »

Spéculer, c’est bientôt dit. Les joueurs ne savent guère, en débutant ce qu’ils ont de chances dans leurs cartes. Le gain peut être considérable, mais aussi la perte. Le sort ne fut pas favorable à M. Nickleby. Il y eut un coup de bourse ; vient une déconfiture, la bulle crève, et voilà quatre agents de change partis pour résider dans des villas de Florence, quatre cents pauvres diables ruinés : M. Nickleby était du nombre.

« La maison même où je demeure, disait en soupirant le malheureux gentleman, peut m’être enlevée dès demain. Je n’ai pas un meuble qui ne doive bientôt passer dans des mains étrangères. »

Cette dernière réflexion lui fit tant de peine qu’il se mit aussitôt au lit, peut-être pour sauver au moins ce meuble-là, à tout hasard.

« Allons, du courage, monsieur, disait l’apothicaire.

— Il ne faut pas vous laisser abattre, disait la garde.

— Cela se voit tous les jours, remarquait l’homme de loi.

— Et c’est un gros péché de vous révolter contre la Providence, lui disait à voix basse le ministre.

— Et c’est une chose qui n’est pas permise à un homme qui a de la famille, » ajoutaient les voisins.

M. Nickleby hocha la tête, et priant qu’on les fît tous sortir de sa chambre, il embrassa sa femme et ses enfants, puis, après les avoir tour à tour pressés contre son cœur défaillant, il retomba épuisé sur son chevet. Ils eurent toute raison de croire que sa raison s’égara après cette dernière émotion ; car il se mit à parler longuement de la générosité et du bon cœur de son frère, du bon vieux temps, quand ils étaient ensemble au collège. Quand cet accès de délire fut passé, il se recommanda par une prière solennelle à celui qui n’a jamais abandonné la veuve et l’orphelin, puis, leur souriant doucement, détourna la tête, disant qu’il se sentait le besoin de dormir.