Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.

soit qu’il ne fût pas facile de lui plaire, soit plutôt qu’il ne lui fût pas facile de plaire, elle n’avait pas encore eu l’occasion de satisfaire son envie, vu qu’elle n’avait pas de secret du tout dont elle pût lui faire confidence. La courte entrevue qu’elle venait d’avoir avec Nicolas était donc à peine achevée, que Mlle Squeers prit son chapeau pour aller en toute hâte chez son amie, et, après lui avoir fait jurer ses grands dieux, comme toujours, d’être discrète, elle lui révéla qu’elle était, non pas encore précisément promise, mais sur le point de l’être au fils d’un gentleman de grande famille, qui était venu en qualité de professeur à Dotheboys-Hall, par suite de circonstances les plus singulières et les plus mystérieuses du monde. Remarquez que Mlle Squeers n’était pas fâchée de faire supposer par là qu’elle avait de bonnes raisons de croire que Nicolas, attiré de Londres par la réputation de ses nombreux attraits, était venu à sa recherche pour lui faire la cour et l’épouser.

« N’est-ce pas une chose extraordinaire ? dit Mlle Squeers appuyant avec une énergie particulière sur l’adjectif.

— Très extraordinaire, répliqua son amie. Mais qu’est-ce qu’il vous a dit ?

— Ne me demande pas ce qu’il m’a dit, ma chère, répondit Mlle Squeers ; si tu l’avais seulement vu me regarder et sourire ! Enfin, je n’ai jamais été si troublée de ma vie.

— Est-ce qu’il t’a regardée comme ça ? demanda la fille du meunier contrefaisant de son mieux une œillade favorite du commissionnaire en grains.

— Tout à fait comme cela… seulement plus distinguée, répliqua Mlle Squeers.

— Ah ! dit l’amie ; alors cela veut dire quelque chose, tu peux en être sûre. »

Miss Squeers, qui n’était pas sans avoir quelques doutes sur le sujet, était bien aise de se voir rassurée par une autorité compétente ; et, quand elles en furent venues, à force de jaser et de comparer leurs notes, à découvrir un grand nombre de points de ressemblance entre les manières de Nicolas et celles du commissionnaire en grains, Mlle Squeers devint si expansive, qu’elle confia à sa bonne amie une foule de choses que Nicolas n’avait pas dites, mais qui étaient si flatteuses qu’elles ne laissaient plus aucun doute sur ses intentions. Puis elle s’étendit sur le malheur d’avoir un père et une mère fortement prononcés contre son futur, circonstance douloureuse sur laquelle elle insista tout du long ; sa bonne amie était bien heureuse, elle dont le père et la mère la voyaient mariée avec tant de plaisir, de manière