Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mort était venue le visiter en cet instant, il lui aurait peut-être fait bon accueil. Les cruels traitements dont il avait été le témoin involontaire, la conduite grossière et inqualifiable de Squeers, même dans ses meilleurs moments, la malpropreté du lieu, le spectacle présent à ses yeux, les cris qui retentissaient à ses oreilles, tout contribuait à lui donner cette humeur mélancolique. Mais, quand il se rappelait qu’en sa qualité de sous-maître de M. Squeers, quelles que fussent les circonstances qui l’y avaient contraint, il passerait pour être l’aide et le partisan d’un système pour lequel il ne se sentait qu’horreur et que dégoût, il se faisait honte à lui-même, et craignait un instant que le souvenir de sa situation présente ne lui permît plus désormais de marcher jamais la tête haute.

Mais, quant à présent, son parti était pris, et il restait fermement décidé à accomplir jusqu’au bout la résolution qu’il avait formée la veille. Il avait écrit à sa mère et à sa sœur pour leur annoncer qu’il était arrivé à bon port ; il parlait peu de Dotheboys-Hall, mais le peu qu’il en disait était aussi rassurant que possible. Il espérait, disait-il, en restant où il était, faire un peu de bien, même là. Dans tous les cas, il avait trop besoin de la faveur de son oncle, dans l’intérêt de ceux qui lui étaient chers, pour la compromettre en le disposant mal contre lui.

Cependant il y avait une pensée qui le troublait bien plus que toutes les considérations personnelles relatives à sa propre situation. Ce qui l’occupait surtout, c’était le sort probable qu’on allait faire à sa chère Catherine. Son oncle l’avait bien trompé lui-même, pourquoi ne choisirait-il pas aussi pour elle quelque emploi misérable où sa jeunesse et sa beauté lui seraient plus périlleuses que la laideur et la vieillesse ? Pour un homme emprisonné, pieds et poings liés comme lui, c’était une idée à faire frémir. Mais non, il avait tort ; sa mère était près d’elle, et puis il comptait aussi sur l’honnête artiste, simple de cœur, il est vrai, mais qui après tout connaissait le monde, puisque c’était le monde qui lui faisait gagner sa vie. Il aimait à croire que c’était pour lui, pour lui seul, que Ralph Nickleby avec conçu de l’antipathie ; et, comme il se sentait à présent de trop justes raisons de la lui rendre, il en concevait mieux celle de son oncle, mais il cherchait à se persuader que ce mauvais sentiment se bornait là et ne s’étendait pas plus loin.

Comme il était absorbé dans ces réflexions, il rencontra tout à coup les yeux de Smike tournés vers lui. Le pauvre garçon était là, sur ses genoux, devant le poêle, à ramasser quelque morceau de charbon, égaré dans les cendres, pour le replacer sur le feu.