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de tirer de chaque enfant tout ce qu’il pouvait rendre ; à cet égard, ils agissaient dans un concert parfait. Toute la différence, c’est que, chez Mme Squeers c’était une guerre intrépide et déclarée, tandis que Squeers, même à Dotheboys-Hall, couvrait toutes ses roueries d’une légère couche d’hypocrisie, comme s’il se flattait d’arriver quelque jour à se faire illusion à lui-même, jusqu’à se persuader qu’il était véritablement un bon enfant.

« Mais, allons ! dit Squeers, interrompant le cours des réflexions que son adjoint commençait à faire sur son sujet, allons à l’étude ; donnez-moi un coup de main pour passer mon habit de classe, voulez-vous ? »

Nicolas aida son maître à passer en effet un vieux costume de chasse en futaine qu’il décrocha dans le corridor. Et Squeers, armé d’une canne, le mena à travers la cour, à une porte qui s’ouvrait sur le derrière de la maison.

« C’est ici, dit le maître de pension en le faisant entrer avec lui : voilà votre bazar, Nickleby. »

Le tableau qui se présenta alors à Nicolas offrait une scène si confuse, et tant d’objets à la fois appelèrent son attention et sa curiosité, qu’il commença par regarder, tout ébahi, sans rien démêler. Cependant, petit à petit, il vit que l’étude se composait d’une chambre malpropre, éclairée par deux fenêtres dont un carreau sur dix était de verre, les autres étant recouverts de feuilles de papier arrachées à quelques vieux cahiers. On y voyait un couple de longues tables à pupitre, vieilles et délabrées, avec des coupures de canif, des entailles, des tâches d’encre, enfin toutes les traces de désordre imaginables ; deux ou trois bancs, un pupitre détaché pour Squeers, un autre pour son maître auxiliaire. Le plafond, comme celui d’une grange, était supporté par des poutres et des solives apparentes ; quant aux murs, ils étaient si tâchés, si noircis, qu’il eût fallu bien de l’habileté pour décider s’ils avaient jamais reçu une couche de peinture ou de badigeon.

Mais c’étaient les élèves ! cette jeune noblesse dont avait parlé Ralph. C’est pour le coup que les dernières et faibles lueurs d’espérance qui brillaient encore au cœur de Nicolas de trouver au moins quelque intérêt dans les efforts qu’il était résolu à faire s’effacèrent à la vue de ce sinistre entourage ! Des visages pâles et des yeux hagards, des charpentes maigres et osseuses, des physionomies de vieillards sur des têtes d’enfants, des êtres difformes dont les membres étaient emprisonnés dans des ferrements orthopédiques, des petits garçons rabougris ou d’autres dont