Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. La Bédollière, 1840.djvu/92

Cette page a été validée par deux contributeurs.
87
NICOLAS NICKLEBY.

manda miss Knags à haute et intelligible voix. — De son père, murmura miss Simmonds. — De son père, hem ?… dit miss Knags sans baisser la voix le moins du monde. Ah ! une longue maladie, miss Simmonds ? — Silence, je vous prie, je ne sais. — Notre malheur a été subit, dit Catherine, autrement je pourrais à l’heure qu’il est en supporter la pensée.

Suivant un usage invariable, lorsqu’une nouvelle ouvrière venait à l’atelier, on avait éprouvé un vif désir de savoir ce qu’était Catherine et tout ce qui la concernait ; miss Knags, désespérant de tirer d’elle de nouveaux renseignements, commanda bien à regret le silence, et ordonna de reprendre les travaux.

Ils se continuèrent jusqu’à une heure et demie, et l’on servit dans la cuisine un gigot cuit au four, et garni de pommes de terre. Le repas fini, et les demoiselles ayant eu la liberté de se laver les mains, en guise de récréation supplémentaire, l’ouvrage recommença en silence. Enfin le roulement des voitures et les doubles coups frappés aux portes indiquèrent que la journée de la classe riche commençait à son tour.

L’un de ces doubles coups donné à la porte de madame Mantalini annonça l’équipage d’une grande dame ou plutôt d’une dame riche, car il y a parfois une immense différence entre la richesse et la grandeur. Elle venait avec sa fille examiner une toilette de cour à laquelle on travaillait depuis longtemps, et Catherine fut dépêchée au magasin, accompagnée de miss Knags, et sur les ordres de madame Mantalini.

Le rôle de Catherine était assez humble, et ses fonctions se bornaient à tenir les diverses parties du costume en attendant que miss Knags fût prête à les essayer, et de temps à autre à nouer un cordon et à attacher une agrafe. Elle pouvait donc avec assez de raison se supposer hors de la portée de l’arrogance et de la mauvaise humeur ; mais il arriva que la riche dame et sa riche fille avaient mis ce jour-là leur bonnet de travers, et la pauvre fille eut sa part de leurs bourrades. Elle était maussade ; ses mains étaient froides et sales ; elle ne faisait rien de bien ; elles ne concevaient pas que madame Mantalini eût de pareilles gens à son service, et demandèrent à avoir une autre ouvrière la première fois qu’elles viendraient, etc.

Une circonstance aussi ordinaire mériterait à peine d’être remarquée, sans l’effet qu’elle produisit. Catherine versa bien des larmes amères lorsque ces dames furent parties, et se sentit pour la première fois humiliée de son emploi. Elle s’était attendue, il est vrai, à un travail pénible ; mais elle n’avait point regardé comme avilis-