Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. La Bédollière, 1840.djvu/86

Cette page a été validée par deux contributeurs.
81
NICOLAS NICKLEBY.

tout ce qui concerne son emploi, et sans dépasser la ligne que lui tracent ses occupations.

M. Gregsbury tint un moment les yeux fixés sur Nicolas, les promena autour de la chambre avec circonspection, et dit à demi-voix : — Tout cela est très-bien, Monsieur… quel est votre nom ? — Nickleby. — Tout cela est très-bien, monsieur Nickleby, pour ce que c’est, mais ce n’est pas assez. Il y a des devoirs que le secrétaire d’un personnage parlementaire ne doit jamais perdre de vue. J’ai besoin d’un teinturier. — Je vous demande pardon, interrompit Nicolas doutant d’avoir bien entendu.

— D’un teinturier, Monsieur, répéta M. Gregsbury. — Puis-je vous demander ce que cela signifie ? — Je vais vous expliquer ma pensée, dit solennellement M. Gregsbury. Mon secrétaire aura à s’instruire de la politique de toutes les cours étrangères, telle que la reproduisent les journaux, à parcourir les comptes rendus de toutes les assemblées publiques, tous les articles de fond, tous les rapports des actes des divers corps de l’État, à prendre des notes sur ce qui lui paraîtra pouvoir servir à la composition d’un discours. Comprenez-vous ? — Je le crois, Monsieur. — En outre, poursuivit M. Gregsbury, j’exige qu’il examine les tables imprimées des dépenses du gouvernement, qu’il en tire des calculs qui puissent figurer avec avantage dans les questions de finances, de droits de timbre, etc. ; je voudrais avoir aussi quelques documents sur les désastreux effets des payements en argent comptant et en espèces ayant cours, avec des détails sur l’exportation du billon, et l’empereur de Russie, et les billets de banque, et toutes ces sortes de choses sur lesquelles il suffit de parler couramment, parce que personne n’y comprend rien. Vous entendez ?… — J’ose m’en flatter. — Voilà un rapide exposé de vos principales occupations. En outre, vous m’attendrez toutes les nuits dans le vestibule, pour prévoir le cas où j’aurais oublié quelque chose, et où j’aurais besoin que mon teinturier me fabriquât un nouveau discours. Par intervalles, dans les débats importants, vous vous mettrez sur le premier rang des tribunes, et vous direz à vos voisins : Voyez-vous ce député qui porte la main à son front, c’est M. Gregsbury, le célèbre M. Gregsbury, en y ajoutant tous les éloges qui vous viendront à l’esprit ; et quant à votre salaire, ajouta M. Gregsbury en reprenant haleine avec précipitation, quant à votre salaire, je vais vous le faire connaître en chiffres précis, pour éviter tout malentendu ; c’est plus que je n’ai coutume de donner : vingt francs par semaine, et voilà.

Après cette offre généreuse, M. Gregsbury se renversa de nouveau dans son fau-