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NICOLAS NICKLEBY.

Il se trouva dans une petite pièce dont le plancher était couvert d’un tapis ; dans un coin, derrière un grand bureau, se tenait assis un jeune homme maigre, aux yeux vifs, au menton proéminent ; c’était celui dont les œuvres en lettres majuscules assombrissaient les carreaux. Il avait devant lui un gros registre, entre les feuillets duquel étaient passés les doigts de sa main droite, et ses yeux étaient fixés sur une vieille dame très-corpulente, en bonnet garni de tulle, qu’il était facile de reconnaître pour la propriétaire de l’établissement, et qui se chauffait près du foyer. Il semblait attendre les ordres de cette dame pour examiner les notes contenues dans le registre enfumé.

Au moment où Nicolas ouvrit la bouche pour prier le jeune homme de regarder à la lettre S, et de lui faire connaître les emplois de secrétaire qui restaient disponibles, on vit entrer dans le bureau une solliciteuse, en faveur de laquelle il se retira immédiatement et dont l’apparition excita sa surprise et son intérêt.

C’était une jeune personne de dix-huit ans à peine, d’une taille frêle et délicate, mais admirable de grâce et d’élégance, et qui, s’avançant timidement vers le bureau, demanda à voix basse un emploi de gouvernante ou de dame de compagnie. Elle leva son voile un instant, et découvrit son visage d’une rare beauté, bien qu’ombragé d’un nuage de tristesse ; ce que sa jeunesse rendait encore plus remarquable. Elle prit une adresse, paya la gratification d’usage, et disparut.

Elle était proprement mais très-simplement mise. Son costume était tel, que, porté par une personne douée de moins de grâces personnelles, il eût paru pauvre et misérable. Sa suivante, car elle en avait une, était une fille à la face bourgeonnée, aux yeux ronds, à l’extérieur malpropre ; la rudesse de ses bras nus, qu’on apercevait à travers les trous de son châle, et les traces de suie et de grès mal effacées qui tatouaient son visage, pouvaient la faire prendre pour une servante à tout faire, et celles qui se tenaient sur le banc échangèrent avec elle des grimaces et des regards, signes maçonniques de la confrérie.

La servante suivit la maîtresse, et toutes deux étaient parties avant que Nicolas se fût remis des premiers effets de sa surprise et de son admiration. Il n’est pas aussi improbable que pourraient le croire les gens raisonnables qu’il eût été tenté de la suivre, s’il n’avait été retenu par ce qui se passa entre la dame corpulente et son teneur de livres.

— Quand revient-elle, Tom ? — Demain matin. — Où l’avez-vous envoyée ? — Chez madame Clark ! — Elle y sera bien, si elle y entre, dit la dame corpulente en prenant une prise de tabac.