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NICOLAS NICKLEBY.

subir des injures et des privations de nature à impressionner la personne la plus indifférente, et par conséquent à être ressenties vivement par un individu aussi sensible que Nicolas. Ces réflexions dominèrent miss Squeers ; elle prit son parti de son mieux, et fit observer à son amie, avant de la quitter, que M. Nickleby était si original et si violent, qu’elle craignait d’être obligée de renoncer à lui.

À partir de ce jour, le pauvre Nicolas, mal nourri, mal couché, obligé de croupir dans un état continu de misère, eut encore à essuyer les plus indignes traitements que puissent inventer la malice et la cupidité sordide.

Ce ne fut pas tout. Un plus profond système de persécution fut mis en pratique contre lui. Depuis le soir où Nicolas avait parlé à Smike avec bonté dans la classe, le malheureux enfant s’était attaché à lui, témoignait en toute occasion le désir, de lui être utile, prévenait ses besoins, et semblait heureux d’être auprès de lui. Il passait patiemment des heures entières à le regarder, et une seule parole de Nicolas animait cette figure flétrie et y faisait passer un éclair de joie. Il était changé ; il avait un but maintenant, et ce but était de montrer de l’attachement à l’étranger qui seul l’avait traité, nous ne dirons pas avec bienveillance, mais du moins comme une créature humaine.

Toute la mauvaise humeur qu’on ne pouvait faire sentir à Nicolas retomba sur le pauvre Smike. Squeers était jaloux de l’influence que son sous-maître avait si promptement acquise ; la famille Squeers le détestait, et Smike payait pour deux. Nicolas le remarquait et grinçait des dents toutes les fois que Smike était victime d’une lâche barbarie.

Nicolas avait régularisé plusieurs leçons pour les élèves, et un soir qu’il arpentait tristement la classe, le cœur gonflé de l’idée que sa protection avait augmenté la misère de celui dont l’abandon avait excité sa pitié, il s’arrêta machinalement dans un coin sombre où était assis l’objet de ses pensées.

Smike, la figure inondée de pleurs récents, étudiait avec peine un livre déchiré ; il s’efforçait vainement de venir à bout d’une tâche qu’un enfant de neuf ans, doué de moyens ordinaires, eût facilement comprise, mais qui était un impénétrable mystère pour le faible cerveau du pauvre martyr. Cependant il restait là, repassant plusieurs fois la même leçon, non par désir d’apprendre, non par ambition enfantine, car il était le sujet des railleries et des sarcasmes même de ses misérables compagnons, mais inspiré par un ardent désir de complaire à son unique ami.

Nicolas lui mit la main sur l’épaule.