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NICOLAS NICKLEBY.

passagère, plus présents toutefois à la mémoire que les rudes tribulations d’un âge plus avancé.

Une de ces excursions les conduisit au cimetière où était le tombeau du père de Nicolas.

— Longtemps avant de savoir ce que c’était que la mort, dit le jeune homme à Smike, nous avions l’habitude de venir nous reposer ici. Nous ne songions guère aux cendres que nous foulions sous nos pieds ; mais, étonnés du silence de ce lieu, nous parlions bas involontairement. Un jour Catherine se perdit, et, après une heure d’inutiles recherches, on la trouva endormie sous l’arbre qui ombrage la tombe de mon père. Il aimait passionnément sa fille, et, en la prenant endormie dans ses bras, il dit qu’en quelque lieu qu’il mourût, il voulait être enseveli à l’endroit où sa chère enfant avait reposé sa tête. Vous voyez que son souhait a été exaucé.

Smike ne répondit rien ; mais, le soir même, il était couché et semblait assoupi, quand il se dressa brusquement sur son séant, et prenant la main de Nicolas, qui était assis auprès du lit, il le conjura, les joues baignées de larmes, de lui faire une promesse solennelle.

— Laquelle ? dit Nicolas avec bonté. Si je puis l’accomplir, ou si je m’en crois capable, vous savez que je suis prêt à le faire.

— Je suis sûr de votre bonne volonté, répondit Smike. Promettez-moi que, quand je mourrai, on m’enterrera bien près… aussi près que possible de l’arbre que nous avons vu aujourd’hui.

Nicolas le jura en peu de mots, mais avec solennité. Son pauvre ami lui prit la main, qu’il garda dans la sienne, et il tourna la tête comme pour dormir ; mais il poussait des sanglots étouffés, et, avant de s’assoupir, il pressa deux ou trois fois la main qu’il tenait, et la laissa aller lentement.

Au bout d’une quinzaine, il fut trop mal pour sortir. Deux ou trois fois Nicolas le mena promener en voiture et bien entouré d’oreillers ; mais le mouvement de la voiture lui était pénible, et provoquait des évanouissements dangereux dans son état de faiblesse. Le jour, il reposait sur un vieux lit de sangle, qu’on transportait dans un petit verger voisin, lorsque le soleil brillait et que le temps était chaud.

Un jour, Nicolas avait emporté Smike dans ses bras… un enfant l’aurait pu porter, hélas ! et il l’avait arrangé sur le lit de sangle, pour voir le coucher du soleil. Il s’était assis près du malade ; mais, fatigué par des veilles continues, il s’endormit par degrés.