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NICOLAS NICKLEBY.

Sans examiner la part que madame Nickleby avait prise à cette affaire, il est hors de doute qu’elle eût de puissant motifs pour se réjouir ; car les frères Cheeryble, à leur retour, accablèrent Nicolas de tant de félicitations, qu’elle considéra dès lors comme faite la fortune de la famille, et s’abandonna à d’heureuses visions de richesse et de grandeur.

La santé de Madeleine avait été altérée par le choc qu’elle avait essuyé. Quand les forces physiques cèdent enfin après avoir été artificiellement augmentées par une énergique résolution, leur degré de prostration est ordinairement proportionné à l’effort qui les a soutenues précédemment. C’est ce qui explique comment la maladie de Madeleine ne fut pas une indisposition passagère, mais menaça sa raison et sa vie.

Qui n’aurait été ému des attentions tendres et multipliées d’une garde aussi affectueuse que Catherine ? Qui plus que Madeleine aurait été sensible à ces soins délicats, à l’accomplissement calme, silencieux, enjoué de ces mille petits services, dont nous sommes si vivement touchés quand nous sommes malades, et que nous oublions si légèrement quand nous nous portons bien ? Sur qui auraient-ils pu faire plus d’impression que sur une jeune fille pure et candide, qui ne jugeait que d’après ses propres instincts la bonté et le dévouement de son sexe, sur une jeune fille sevrée depuis l’enfance de toute affection, de toute sympathie ? L’amitié qui les unit bientôt n’a donc rien d’étonnant. Pendant sa convalescence, Madeleine donnait une approbation de plus en plus douce et explicite aux éloges prodigués par Catherine à son frère, quand celle-ci parlait d’un passé qui leur semblait déjà si loin. Ces éloges se gravaient dans le cœur de Madeleine, et l’image de Nicolas se confondait tellement avec celle de sa sœur, qu’il était presque impossible de les séparer. Madeleine éprouvait une égale difficulté à distinguer les sentiments qu’elle éprouvait pour chacun d’eux, et elle avait imperceptiblement mêlé à sa reconnaissance pour Nicolas un peu du sentiment plus vif qu’elle croyait accorder à Catherine.

— Ma chère enfant, disait madame Nickleby à Madeleine, j’espère que vous allez mieux.

Et elle entrait dans la chambre avec une précaution non moins propre à calmer les nerfs d’un malade que la marche d’un régiment de cavalerie.

— Elle est presque rétablie, répondait Catherine déposant son ouvrage et prenant la main de Madeleine. — Catherine, ne parlez pas si fort ! disait madame Nickleby d’un ton de reproche.