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NICOLAS NICKLEBY.

l’ignore, et je l’avoue franchement, car je dédaigne de souiller sa cause par la fourberie. Je l’ignore présentement ; mais je ne suis pas seul et sans amis dans cette affaire. Nous sommes déjà sur la piste, et si l’énergie d’hommes déterminés peut amener la découverte de votre trahison, si une haine légitime soutenue par de la fortune peut déjouer vos infâmes menées, vous en rendrez un jour un compte sévère.

Il s’arrêta encore, et Arthur Gride le contempla en silence.

— Si j’avais quelque espoir d’émouvoir votre compassion ou votre humanité, je vous montrerais l’innocence, la détresse, la jeunesse de cette dame, son mérite, sa beauté, son amour filial ; je vous rappellerais enfin l’appel qu’elle a fait à vos sentiments, mais il n’y a qu’une question à traiter avec les hommes comme vous. Dites-moi donc combien vous demandez ? Pesez les dangers auxquels vous êtes exposé. Vous voyez que j’en sais assez pour apprendre bientôt le reste. Établissez une balance entre le bénéfice et les risques, et fixez une somme.

Le vieux Gride ne répondit que par un hideux sourire.

— Vous croyez qu’on ne vous payerait pas ? Mais miss Bray a des amis riches et sur la solvabilité desquels vous pourriez compter.

Quand Nicolas avait commencé, Arthur Gride s’était figuré que Ralph l’avait trahi ; mais il fut bientôt convaincu que son complice était entièrement étranger à la démarche du jeune homme. Tout ce que celui-ci semblait savoir était que Gride payait la dette de Ralph ; mais c’était une circonstance connue de tous ceux qui étaient instruits de la détention de Bray. Quant au but secret du mariage, l’étranger avait pu le deviner ou en accuser Gride pour le sonder ; mais il n’en avait évidemment aucune idée exacte. Les promesses des prétendus amis de miss Bray étaient trop vagues pour qu’on s’y arrêtât. Telles furent les conclusions auxquelles arriva Gride. Avec cette facilité de calcul mental que lui avait donnée l’habitude, il suivit Nicolas pas à pas, démolissant intérieurement ses arguments sans avoir l’air de s’en occuper, et, à la fin du discours, il se trouva aussi déterminé que s’il eût délibéré une quinzaine.

— Je vous entends, s’écria-t-il en allant ouvrir les volets. Au secours ! au secours ! au secours ! — Que faites-vous ? dit Nicolas en lui prenant le bras.

Gride recula tout effrayé.

— Si vous ne sortez à l’instant même, je vais crier au voleur, au meurtre, à l’assassin ; je me débattrai, je me blesserai, et je jurerai que vous êtes venu ici pour me voler. — Scélérat ! — Une minute de plus, et je vais faire retentir la rue de