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NICOLAS NICKLEBY.

de ma femme ; mais reste à savoir si je n’aurais pas pu arranger l’affaire moi-même. Pourquoi n’ai-je pas eu le courage nécessaire ? pourquoi ne me suis-je pas expliqué hardiment avec Bray, ce qui m’eût épargné mille quatre cent soixante livres quatre shillings trois pence ? Ah ! je mourrai dans un dépôt de mendicité.

Cependant Arthur réfléchit qu’en tout état de choses il eût été obligé de payer la créance de Ralph, et que seul il eût fort bien pu ne pas réussir. Il reprit sa tranquillité d’âme, et feuilleta son livre de compte jusqu’à l’arrivée de Peg Sliderskew.

— Voilà le poulet, dit Peg en présentant sur une assiette un poulet microscopique un vrai phénomène de poulet, tant il était chétif et osseux. — Le bel oiseau ! dit Arthur après avoir demandé le prix, qui se trouva proportionné à la taille du volatile ; avec une tranche de jambon, des pommes de terre, des légumes, un pudding aux pommes et un petit morceau de fromage, nous aurons un festin de Balthazar. Il n’y aura qu’elle et moi, et vous, Peg, quand nous aurons fini. — Ne venez pas ensuite vous plaindre de la dépense, dit madame Sliderskew d’un ton bourru. — J’ai peur que la nourriture nous coûte cher la première semaine, reprit Arthur en gémissant, mais j’aurai soin de ne manger que suffisamment, et, pour ne pas en faire autant, je sais que vous aimez trop votre vieux maître. — Que savez-vous ? — Que vous aimez trop votre vieux maître. — Il n’y a pas d’excès. — Je dis que vous l’aimez trop pour vous régaler à ses dépens. — À ses quoi ? — Ô mon Dieu ! elle ne peut jamais entendre le mot le plus important, et elle entend tous les autres ! À ses dépens, vieille toue à écorcher !

Ce dernier hommage rendu aux charmes de madame Sliderskew ayant été prononcé à voix basse, cette dame approuva le reste du discours par un sourd grognement qui fut accompagné du bruit de la sonnette.

— On sonne, dit Arthur. — Oui, oui, je sais cela. — Alors, pourquoi ne partez-vous pas ? — Pourquoi partirais-je ? je ne fais pas de mal ici. — On sonne ! répéta Arthur Gride à tue-tête, en exprimant par une pantomime l’action de sonner à une porte. — Eh bien ! il fallait me le dire tout de suite, au lieu de parler de toutes sortes de choses qui n’ont aucun rapport avec ça. C’est sans doute la bière qu’on apporte. — Votre caractère change, madame Peg, dit Arthur en la suivant des yeux, je ne sais ce que cela signifie ; mais, si ça continue, nous ne nous accorderons pas longtemps.

À ces mots, il se remit à considérer son registre.

La chambre n’était éclairée que par une lampe, sombre et enfumée, dont les faibles rayons n’étaient projetés que sur un très-petit espace. L’usurier avait mis