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NICOLAS NICKLEBY.

perçant de Morleena lui fit lever les yeux et il reconnut, comme elle, dans le vieux monsieur, M. Lillywick le collecteur.

Les traits de M. Lillywick étaient bien changés. Si jamais un vieillard s’était fait un devoir de paraître en public fraîchement et proprement rasé, c’était certainement M. Lillywick. Si jamais collecteur avait eu un maintien de collecteur, et un air de dignité solennelle, c’était, sans aucun doute, M. Lillywick. Et maintenant, hélas ! il avait une barbe de plus de huit jours, et un jabot chiffonné qui rampait sur sa poitrine, au lieu de se dresser hardiment. Sa tournure annonçait tant de chagrin, tant d’abattement, tant de honte, tant d’humiliation, que si l’on avait pu concentrer en un seul corps les âmes de quarante propriétaires privés d’eau faute de payement de la taxe, ce seul corps aurait exprimé de moins douloureuses émotions.

Newman Noggs l’aborda, et M. Lillywick chercha à dissimuler un gémissement par une toux ; mais ce fut peine inutile.

— Qu’avez-vous ? dit Newman Noggs. — Ce que j’ai, Monsieur ! s’écria Lillywick. J’ai vidé le calice, Monsieur, et il ne m’en reste que la lie !

Ce discours, dont Newman attribua le style à des réminiscences dramatiques, n’était pas assez explicite, et Newman allait réitérer sa question quand M. Lillywick l’en empêcha.

Il suffit de savoir que le malheureux avait été abandonné par sa femme. Entré chez M. Kenwigs, il termina ainsi :

— Ce fut dans cette chambre que je vis pour la première fois Henriette Petowker, c’est dans cette chambre que je renonce à elle pour jamais.

Cette déclaration changea complètement la face des choses. Madame Kenwigs fut saisie d’horreur en songeant qu’elle avait pu nourrir dans son sein un serpent, une couleuvre, une vipère, un crocodile aussi méprisable qu’Henriette Petowker. M. Kenwigs déclara qu’il fallait qu’elle eût été bien perverse pour ne pas être corrigée par l’exemple des vertus de madame Kenwigs. Celui-ci se rappela avoir souvent répété à son mari qu’elle n’était pas satisfaite de la conduite d’Henriette, et s’étonna d’avoir pu s’aveugler un seul instant sur le compte d’une pareille créature. M. Kenwigs se souvint d’avoir eu des soupçons ; mais il n’était nullement étonné de l’aveuglement de sa femme, attendu qu’elle était pleine de chasteté, de franchise et d’innocence, et Henriette de fausseté, de bassesse et de perfidie.

Enfin les deux époux s’écrièrent que tout était pour le mieux, et conjurèrent le bon collecteur de ne pas s’abandonner à une douleur inutile, mais de chercher