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NICOLAS NICKLEBY.

— Est-ce vrai ? répéta l’homme. — Vous aviez fait votre besogne, vous aviez reçu vos gages ; nous étions quittes. — Oui, mais depuis nous avons cessé de l’être. — Nous ne l’étions même pas alors ; car vous me deviez de l’argent, et vous êtes encore mon débiteur.

— Ce n’est pas tout, dit le vieillard, ce n’est pas tout, écoutez-moi. Je gardais contre vous un profond ressentiment, et en partie pour me venger, en partie pour en tirer quelque jour de l’argent, je m’emparai d’un secret qui vous concerne. Ce secret, vous donneriez la moitié de votre fortune pour le connaître, et moi seul peux vous l’apprendre. Je vous quittai longtemps après ; je fus traduit en justice pour une bagatelle qui était du ressort des tribunaux, mais qui n’était rien comparativement aux friponneries que se permettent les prêteurs d’argent sans dépasser les limites de la légalité. Je fus condamné à sept années de déportation, et me voici de retour. Maintenant, monsieur Nickleby, quel secours voulez-vous m’accorder ? combien achetez-vous mon secret, pour m’expliquer clairement ? Mes prétentions ne sont pas monstrueuses, mais il faut que je vive, que je mange. L’argent est de votre côté, la faim et la soif du mien ; notre marché est facile à conclure.

L’humilité se mêlait étrangement dans ces paroles du vieillard avec le sentiment de sa puissance. Les regards de Ralph demeurèrent impassibles, et il ne remua que les lèvres pour demander :

— Est-ce là tout ? — Ce sera tout si vous le voulez ; cela dépend de vous. — Eh bien donc ! écoutez-moi, Monsieur… Comment dois-je vous appeler ? — Je n’ai pas changé de nom. — Écoutez-moi donc, monsieur Brooker, et n’attendez pas de moi d’autre réponse que celle que je vais vous faire. Je vous connais depuis longtemps pour un fripon déterminé, mais vous n’avez jamais eu d’énergie. Les fatigues d’un rude travail, les fers que vous avez portés, une nourriture moins substantielle que celle que vous aviez au temps où je vous maltraitais, ont affaibli vos facultés intellectuelles ; autrement vous ne viendriez pas me conter une pareille histoire. Vous êtes maître d’un secret qui me concerne, gardez-le ou publiez-le, à votre choix. — À quoi bon ? interrompit Brooker ; je n’y gagnerai rien. — Vous y gagnerez autant qu’à me l’apporter, je vous le promets. Parlons franchement ; mes affaires sont en règle : je connais le monde, et le monde me connaît. Ce que vous avez vu ou entendu, quand vous étiez à mon service, le monde en est instruit et l’amplifie déjà. Vos prétendues révélations ne le surprendraient point, à moins qu’elles ne fussent en ma faveur, et dans ce cas il vous accuserait de mensonge ; cependant, les affaires ne me manquent point, et les clients ne sont point difficiles, au contraire. Tous les