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NICOLAS NICKLEBY.

portionné à la peine qu’il causait à Ralph. Il s’y arrêta aussi longtemps qu’il pouvait le faire décemment ; et, après avoir cessé, se le répéta à lui-même comme si c’eût été encore une satisfaction.

— Et où a-t-il été ? dit Ralph. — En France ; le docteur le lui a ordonné, craignant une attaque d’érysipèle, et il est parti. — Et lord Frédéric ? — Il est parti aussi. — Et sir Mulberry emporte avec lui les coups qu’il a reçus ! il renonce à la peine du talion, il ne demande pas la moindre réparation ! — Il est trop malade ! — Trop malade ! mais je voudrais me venger, fussé-je au lit de mort. L’approche même de ma fin serait un nouveau motif d’agir sans délai… mais il est trop malade, le pauvre Mulberry !

En prononçant ces mots avec autant de mépris que d’emportement, Ralph fit signe à Newman de sortir, se jeta dans un fauteuil, et battit la terre du pied.

— Ce garçon est ensorcelé, dit Ralph en grinçant des dents. Tout conspire en sa faveur ! Qu’on parle donc des bienfaits de la fortune ! qu’est-ce que l’argent comparativement à un pareil bonheur ?

Il mit avec impatience ses mains dans ses poches ; mais, nonobstant la précédente réflexion, il y trouva de quoi se consoler, car sa figure s’éclaircit un peu, et, si ses sourcils demeurèrent froncés, ce fut l’effet du calcul, et non du désappointement.

— Ce Hawk reviendra cependant, murmura-t-il, et si je connais l’homme, sa rage n’aura rien perdu de sa violence. Obligé de vivre dans la retraite, de mener une existence monotone et contraire à ses habitudes, de s’abstenir de vin, de jeu, de tout ce qu’il aime, il n’oubliera point celui auquel il doit cette renonciation forcée aux plaisirs du monde.

Il sourit, appuya son menton sur sa main, rêva un moment, sourit encore, se leva et sonna.

— Ce M. Squeers est-il venu ? dit-il. — Il était ici hier au soir. Je l’y ai laissé en partant. — Je le sais, imbécile ! dit Ralph avec colère. Est-il venu depuis ? s’est-il présenté ici ce matin ? — Non, cria Newman sur une gamme très-élevée. — S’il vient pendant mon absence, faites-le attendre. Il sera sans doute ici vers les neuf heures du soir, et s’il y a un autre homme avec lui, ce qui arrivera… peut-être, faites-le attendre aussi. — Je les ferai attendre tous les deux ? — Oui ; aidez-moi à mettre mon pardessus, et ne répétez pas mes paroles comme un perroquet. — Je voudrais bien être un perroquet, dit Newman. — Que ne l’êtes-vous ! repartit Ralph en passant son pardessus, il y a longtemps que je vous aurais tordu le cou.