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NICOLAS NICKLEBY.

dans une vive agitation, et le bruit des pas de deux paires de boites fut loin de lui rendre la tranquillité. Elle augura que c’étaient les deux messieurs Cheeryble, mais ce n’étaient pas ceux qu’elle attendait ; car M. Charles Cheeryble parut accompagné de son neveu, qui fit mille excuses de se présenter ainsi sans cérémonie. Madame Nickleby, ayant quantité suffisante de petites cuillers, agréa gracieusement les explications de M. Frank, et la présence de cet hôte inattendu n’excita pas le moindre embarras. Le vieillard et le jeune homme montrèrent tant d’affabilité, que la gêne ordinaire d’une première entrevue n’accompagna point celle-ci.

On prit le thé en causant ; on parla du récent séjour de M. Frank en Allemagne, et le vieux Cheeryble apprit à la société qu’on supposait au neveu d’avoir été éperdûment amoureux de la fille de certain bourgmestre allemand. Frank repoussa énergiquement cette accusation, et madame Nickleby fit observer finement que la chaleur de ces dénégations tendait à confirmer le fait. Le jeune Frank supplia M. Charles d’avouer que c’était une plaisanterie, et celui-ci finit par en convenir. Madame Nickleby remarqua avec plaisir la vive rougeur de M. Frank ; car, ainsi qu’elle le répéta souvent en parlant de cette scène, les jeunes gens ne se distinguent point par un excès de modestie, surtout quand il s’agit de leurs bonnes fortunes.

Après le thé, on se promena dans le jardin jusqu’à la brune, et le temps s’écoula rapidement. Catherine marchait devant, appuyée sur le bras de son frère, et s’entretenait avec lui et M. Frank. Madame Nickleby et M. Charles suivaient à peu de distance, et l’intérêt que le négociant témoignait à Nicolas, l’admiration qu’il exprimait pour Catherine, produisirent un tel effet sur la bonne dame, que sa loquacité ordinaire fut circonscrite à d’étroites limites. Smike, objet de l’intérêt général, allait d’un groupe à l’autre, tantôt prêtant l’appui de son épaule à la main du vieillard, tantôt s’approchant de Nicolas, qui, plus familier avec lui, avait seul le pouvoir d’amener un sourire sur cette figure soucieuse.

Les deux hôtes prirent congé après un joyeux souper. M. Frank Cheeryble présenta deux fois la main à Catherine, oubliant qu’il lui avait déjà dit adieu, ce qui fut l’occasion de beaucoup de plaisanteries. M. Charles considéra cette circonstance comme une preuve des distractions causées à son neveu par le souvenir de son Allemande, et ce qu’il dit à ce sujet provoqua une explosion d’hilarité, tant il est facile d’émouvoir des cœurs innocents.

Enfin, ce fut un jour de bonheur pur et tranquille, un de ces jours, comme nous en avons tous quelquefois, dont on se souvient avec délices, et qui occupe une place importante dans les annales de la vie.