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NICOLAS NICKLEBY.

Nicolas prit la carte, la regarda involontairement, et donna des signes d’une vive surprise.

— M. Frank Cheeryble ! s’écria-t-il, le neveu de MM. Cheeryble frères, qui est attendu demain ! — Je ne m’intitule pas ordinairement le neveu de la compagnie, répondit M. Frank d’un ton jovial ; mais je suis fier de me dire le neveu des deux excellents individus qui la composent. Vous êtes, à ce que je vois, M. Nickleby, dont j’ai tant entendu parler. Voici une rencontre inattendue ; mais elle n’en est pas moins agréable, je vous assure.

Nicolas répondit à ces compliments par d’autres analogues, et ils échangèrent une poignée de main. Puis Nicolas présenta John Browdie ; ils montèrent ensemble dans la chambre, avec madame Browdie, et passèrent la demi-heure suivante dans les plaisirs d’une conversation amicale.

À en juger par ce qui avait eu lieu, M. Frank Cheeryble avait la tête chaude, ce qui n’est point, chez les jeunes gens, d’une rareté phénoménale. Il était vif, aimable, de bonne humeur, et avait beaucoup des traits et du caractère de ses oncles. Ses manières étaient simples comme les leurs, et respiraient cette cordialité qui captive aisément les cœurs généreux. Il était gai et intelligent, et il fut accoutumé en cinq minutes aux bizarreries de John Browdie, comme s’il l’eût connu depuis l’enfance. Aussi produisit-il l’impression la plus favorable, non-seulement sur le digne paysan et sa femme, mais encore sur Nicolas, qui s’applaudit en retournant chez lui de cette connaissance nouvelle.

— Mais, pensait-il, que faisait là ce commis de bureau de placement ? J’ai appris, l’autre jour, par Tim Linkinwater que M. Frank venait prendre un intérêt dans la maison de Londres, qu’il avait dirigé pendant quatre ans celle d’Allemagne, et que depuis six mois il s’était occupé d’établir une agence dans le nord de l’Angleterre ; cela fait quatre ans et demi. Elle n’a pas plus de dix-sept ans… dix-huit ans au plus ; c’était donc une enfant quand il est parti. Il ne pouvait la connaître ; il ne l’avait jamais vue. En tout cas, il n’est pas à craindre qu’elle lui ait donné son cœur, c’est évident.

C’était là le seul point qui occupât sérieusement Nicolas.

Les mêmes idées le poursuivirent toute la nuit. Après être convenu, à part lui, que Frank Cheeryble ne connaissait pas la mystérieuse jeune fille, il se dit que lui-même était exposé à ne la revoir jamais, et se créa, sur cette hypothèse, une succession de tourments chimériques.

Le jour ne hâte point sa venue pour complaire aux amoureux en proie à l’insom-