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NICOLAS NICKLEBY.

n’est-il pas assez dur, cette chambre assez triste, mes douleurs assez insupportables, pour qu’on me tourmente encore ? Quelle heure est-il ? — Huit heures et demie, répondit son ami. — Allons, approchez la table et reprenons les cartes, dit sir Mulberry, encore une partie de piquet.

Il était curieux de voir avec quel empressement le malade, incapable de changer de position, ne pouvant que remuer la tête d’un côté et de l’autre, épiait tous les mouvements de son ami durant la partie. Il jouait avec ardeur, sans cependant perdre son sang-froid. Il avait vingt fois plus d’adresse et d’habileté que son adversaire, qui n’était guère de force à lui tenir tête, même quand il avait beau jeu, ce qui était rare. Sir Mulberry gagnait toujours ; et quand son compagnon jeta les cartes et refusa de jouer davantage, le malade étendit son bras endolori, et s’empara des enjeux avec ce juron de triomphe et ce rauque éclat de rire qui plusieurs mois auparavant avaient retenti plus bruyants et plus sonores dans la salle à manger de Ralph Nickleby.

Cependant son domestique vint lui annoncer que M. Ralph Nickleby était en bas, et désirait savoir comment il allait ce soir.

— Mieux, dit sir Mulberry avec impatience. — M. Nickleby désire savoir, Monsieur… — Mieux, vous dis-je, reprit sir Mulberry en frappant la table du poing.

Le domestique hésita un moment, et dit que Nickleby avait demandé la permission de voir sir Mulberry Hawk, si c’était possible.

— Ce n’est pas possible, je ne puis le voir, je ne puis voir personne, dit le maître avec un nouvel emportement. Vous le savez, imbécile ! — J’en suis bien fâché, Monsieur, mais M. Nickleby a tellement insisté…

La vérité était que Ralph Nickleby avait séduit le domestique, qui, tenant à gagner son argent, et dans l’espoir d’une nouvelle récompense, laissait la porte entr’ouverte et ne se retirait point.

— A-t-il dit qu’il voulait m’entretenir d’affaires ? demanda sir Mulberry au bout d’un instant de réflexion. — Non, Monsieur ; il a dit seulement qu’il désirait vous parler en particulier. — Dites-lui de monter… Holà ! cria sir Mulberry passant la main sur sa face meurtrie et appelant le domestique ; enlevez cette lampe, et placez-la derrière moi. Roulez cette table de côté, et mettez une chaise là-bas… C’est bien.

Le domestique obéit à ces ordres comme s’il eût parfaitement compris les motifs qui les avaient dictés, et sortit. Lord Verisopht passa dans la pièce voisine et ferma derrière lui la porte à deux battants