Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. La Bédollière, 1840.djvu/167

Cette page a été validée par deux contributeurs.
162
NICOLAS NICKLEBY.

porte que cette inscription : Cheeryble frères ; mais un coup d’œil rapide jeté sur les adresses de quelques ballots épars fit supposer à Nicolas que les frères Cheeryble étaient des marchands, qui faisaient la commission pour l’Allemagne.

Traversant un magasin dont l’aspect indiquait le commerce le plus actif, M. Cheeryble, que Nicolas reconnut au respect que lui témoignaient les commis et les garçons, l’introduisit dans un petit comptoir formé de châssis vitrés. On y voyait un commis d’un certain âge, gras, joufflu, à tête poudrée et à lunettes d’argent, si propre, si exempt de taches et de poussière, qu’il semblait qu’on l’eût enfermé entre les châssis vitrés avant d’en poser le faîte, et qu’il n’en était jamais sorti.

— Mon frère est-il dans sa chambre, Tim ? dit M. Cheeryble avec non moins de bonté qu’il en avait montré à Nicolas. — Oui, Monsieur, répondit le gros commis dirigeant les verres de ses lunettes vers son patron, et ses yeux vers Nicolas ; mais M. Trimmers est avec lui. — Ah ! ah ! et quel objet l’amène, Tim ? dit M. Cheeryble. — Il recueille une souscription pour la veuve et les enfants d’un homme qui a été tué ce matin dans les chantiers de la compagnie des Indes. Il a été écrasé par un ballot de sucre ! — Trimmers est un brave homme, dit avec chaleur M. Cheeryble ; je lui ai beaucoup d’obligations. Trimmers est un des meilleurs amis que nous ayons ; il nous a fait connaître une multitude d’accidents que nous n’aurions jamais sus nous-mêmes ; je lui ai beaucoup, beaucoup d’obligations.

À ces mots, M. Cheeryble se frotta les mains avec une satisfaction infinie, courut après M. Trimmers, qui sortait en ce moment, et le prit par la main.

— Je vous dois mille remercîments, Trimmers, dix mille remercîments ; je vous sais gré de votre conduite, dit M. Cheeryble l’attirant dans un coin pour n’être pas entendu. Combien y a-t-il d’enfants, Trimmers, et qu’est-ce que mon frère Edwin a donné ? — Il y a six enfants, et votre frère nous a donné vingt livres sterling. — Mon frère Edwin est un bon garçon, et vous êtes un bon garçon aussi, dit le vieillard lui serrant les mains et tremblant d’émotion, inscrivez-moi pour vingt autres livres… ou… attendez une minute, attendez une minute. Il ne faut pas avoir l’air de viser à l’ostentation ; inscrivez-moi pour dix livres, et Tim Linkinwater pour dix livres également. Tim, faites à M. Trimmers un bon de vingt livres. Dieu vous bénira, Trimmers. Venez dîner chez nous quelque jour de cette semaine, vous trouverez toujours votre couvert mis, et nous serons charmés de vous recevoir. Ecrasé par un ballot de sucre !… six pauvres enfants !… Ô mon Dieu ! mon Dieu !

M. Cheeryble prononça ces paroles aussi vite qu’il le put, pour empêcher le collecteur de la souscription de lui faire d’amicales remontrances sur le total élevé