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NICOLAS NICKLEBY.

Il eut plus d’une fois envie de recourir à M. Crummles ; mais sa mère ignorait ses relations avec le directeur, quoique Catherine en fût informée, et il prévoyait mille objections s’il cherchait des ressources dans la profession d’acteur. Il pensa que le meilleur parti à prendre était de s’adresser encore au bureau de placement.

Ce bureau était tel qu’il l’avait vu jadis, et à deux ou trois exceptions près, il semblait y avoir à la croisée les mêmes placards. C’étaient toujours des maîtres irréprochables en quête de vertueux domestiques, et de vertueux domestiques en quête de maîtres irréprochables ; d’avantageux placements offerts aux capitaux, et une énorme quantité de capitaux à placer ; enfin mille occasions superbes offertes aux gens qui voulaient faire fortune. C’était une preuve très-extraordinaire de la prospérité nationale, que depuis si longtemps il ne se fût présenté personne pour profiter de tant d’avantages.

Pendant que Nicolas s’arrêtait devant la croisée, un vieux gentleman vint à s’y arrêter aussi en cherchant quelque affiche en lettres majuscules qui pût lui être applicable ; Nicolas aperçut ce vieillard, et cessa instinctivement d’examiner les affiches pour l’observer plus attentivement.

C’était un homme robuste, en habit bleu à larges pans, dans la confection duquel on avait sacrifié l’élégance à la commodité. Mais ce qui attira principalement l’attention de Nicolas, ce fut l’œil du vieillard. Jamais œil plus clair et plus vif n’avait mieux exprimé l’honnêteté, la joie, le bonheur. Un sourire si agréable se jouait sur ses lèvres, une expression si comique de finesse, de simplicité, de bonté, de bonne humeur éclairait sa vieille figure joviale, que Nicolas fût resté volontiers jusqu’au soir à la contempler, et eût oublié qu’il y avait au monde des esprits revêches et de rudes physionomies.

Mais cette satisfaction devait lui être refusée ; car, bien que le vieillard parût ignorer complètement qu’il eût été l’objet d’un examen, il regarda par hasard Nicolas, et celui-ci, craignant de l’offenser, se remit aussitôt à examiner les affiches. Cependant le vieillard continuait à les passer en revue, et Nicolas ne pouvait se défendre de lever les yeux sur lui. Outre la singularité et l’étrangeté de son extérieur, il y avait en lui quelque chose de si engageant, de si affable, de si prévenant, tant de petites lueurs voltigeaient aux coins de sa bouche et autour de ses yeux, que c’était non pas un simple amusement, mais un véritable plaisir de le regarder.

Il n’est donc pas étonnant que le vieillard surprit à plusieurs reprises Nicolas occupé à l’observer ; en ces instants, Nicolas rougissait et paraissait embarrassé, car il s’était mis à se demander si l’étranger n’aurait pas besoin par hasard d’un