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NICOLAS NICKLEBY.

— Depuis quand êtes-vous ici ? demanda Nicolas. — Depuis ce matin, Monsieur. — Ah ! j’y suis ; vous étiez au spectacle ce soir, et c’était votre para… — Et le voilà, interrompit Lillywick en montrant un vieux parapluie de coton vert dont le fer était tout bosselé ; comment avez-vous trouvé miss Petowker ? — Mais pas mal, autant que j’en ai pu juger, étant sur la scène. — Pas mal ! s’écria le collecteur ; et moi, Monsieur, je prétends qu’elle a été délicieuse.

M. Lillywick se pencha en avant pour prononcer ce dernier mot avec plus d’emphase. Puis il se redressa et fit une multitude de gestes et de grimaces.

Nicolas eut beaucoup de peine à s’empêcher de rire ; sans se hasarder à parler, il se contenta de faire des signes de tête pour répondre à ceux de M. Lillywick. — Permettez-moi de vous dire un mot en particulier, reprit celui-ci.

Nicolas lança un joyeux coup d’œil à Smike, qui le comprit et disparut.

— Un célibataire mène une triste existence, dit M. Lillywick. — Vraiment ? — Je vous le garantis ; il y a près de soixante ans que je suis au monde, et je dois savoir ce qui en est. — Vous devez le savoir certainement ; mais comment êtes-vous venus tous les deux ici, si vous allez vous marier ? demanda Nicolas. — C’est ce que je viens vous expliquer, répondit le collecteur. Le fait est que nous avons jugé convenable de cacher notre mariage à la famille. — À la famille ! dit Nicolas. Quelle famille ? — Les Kenwigs, repartit M. Lillywick. Si ma nièce et ses enfants avaient su un mot de ce qui se passe avant l’achèvement de la cérémonie, ils seraient venus se rouler à mes pieds, et je n’aurais pu m’en débarrasser qu’en leur jurant de ne jamais me marier ; ou bien ils auraient cherché à me faire interdire, ou bien ils auraient dirigé contre moi quelque terrible machination, ajouta le collecteur, qui tremblait en parlant. — C’est clair, dit Nicolas, ils eussent été jaloux. — Pour prévenir ces inconvénients, dit M. Lillywick, d’après ce qui avait été décidé, Henriette Petowker est descendue ici chez ses amis les Crummles, sous prétexte d’un engagement, et je l’y ai retrouvée. Maintenant, dans la crainte que vous n’écriviez à M. Noggs, et que vous ne lui parliez de nous, nous avons mieux aimé vous mettre dans le secret. Nous sortirons de chez les Crummles pour aller à l’église, et nous serons enchantés de vous voir, soit avant la cérémonie, soit à déjeuner. — Je serai charmé de me rendre à votre invitation ; cela me fera le plus sensible plaisir. — Et vous aurez soin de garder le silence ! — Vous pouvez compter sur moi. — Voulez-vous accepter quelque chose ? — Merci, je n’ai pas d’appétit, je suis tenté de croire que la vie matrimoniale a bien des charmes ; qu’en dites-vous ? — Je n’ai pas le moindre doute à cet égard. — Vous avez raison ; oui, certainement. Bonsoir.