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NICOLAS NICKLEBY.

— Est-ce là un théâtre ? murmura Smike étonné ; je croyais que c’était un lieu resplendissant de lumière — Oui, répondit Nicolas non moins surpris.

La voix du directeur, l’arrachant à l’inspection qu’il faisait de l’édifice, le rappela à l’autre côté de l’avant-scène, où était assise une grosse femme de quarante à cinquante ans, en robe de soie fanée, et dont les cheveux très-épais étaient nattés en larges tresses sur les tempes.

— Monsieur Johnson, dit le directeur (car Nicolas avait conservé le nom que lui avait donné Newman Noggs), permettez-moi de vous présenter madame Vincent Crummles. — Je suis enchantée de vous voir, Monsieur, dit madame Vincent Crummles d’une voix sépulcrale.

À ces mots, la dame donna la main à Nicolas ; Nicolas avait remarqué que cette main était de bonne taille, mais il ne s’était pas attendu à une étreinte de fer comme celle dont il fut honoré.

— Et voici l’autre ? reprit la dame en traversant le théâtre avec une majesté tragique pour s’approcher de Smike. Vous êtes aussi le bienvenu, Monsieur. — Il conviendra, je crois, ma chère, dit le directeur prenant une prise de tabac. — Il est admirable, répondit la dame.

Pendant que madame Vincent Crummles retournait à la table, on vit bondir sur la scène, du fond de quelque cabinet mystérieux, une petite fille en sale fourreau blanc à bouillons sur les genoux, en pantalon court, en sandales, en spencer blanc, en chapeau de gaze, en voile vert et en papillotes. Elle fit une pirouette, un jeté battu, une autre pirouette, poussa un cri après avoir regardé dans la coulisse, s’élança à six pouces de la rampe, et retomba dans une belle attitude de terreur en voyant un sauvage s’avancer sur la scène, grincer des dents, et brandir une énorme massue.

— Ils vont répéter le sauvage indien et la jeune fille, dit madame Crummles. — Bah ! dit le directeur, le ballet-intermède ? très-bien. Un peu de ce côté, s’il vous plaît, monsieur Johnson. C’est à merveille. Commencez.

Le directeur donna le signal en frappant des mains, et le sauvage, devenant féroce, fit une glissade vers la jeune fille ; mais la jeune fille l’évita en six pirouettes, et à la fin de la dernière, demeura droite sur la pointe des pieds. Puis le sauvage et la jeune fille dansèrent ensemble avec vigueur, et pour la clôture, le sauvage mit un genou en terre ; la jeune fille monta sur l’autre genou, et s’y tint une jambe en l’air. Ainsi se termina le ballet.

— Bravo, bravissimo ! s’écria M. Crummles. — Bravo ! répéta Nicolas déterminé