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NICOLAS NICKLEBY.

— J’aime votre physionomie, dit la dame ; et elle sonna. Alphonse, priez votre maître de venir.

Le page disparut, et après un court intervalle, durant lequel pas un mot ne fut prononcé, il ouvrit à un cavalier d’environ trente-huit ans, à l’air important mais assez commun, aux cheveux très-rares, qui se pencha un moment vers madame Wititterly, et causa avec elle à voix basse.

— Ce qu’il importe de considérer, dit-il ensuite, c’est que madame Wititterly est d’une nature très-excitable, très-délicate, très-fragile ; c’est une plante de serre chaude, un arbuste exotique. — Oh ! Henri ! interrompit la dame. — C’est un fait positif, mon amour, vous n’êtes qu’un souffle, ajouta-t-il en chassant de son haleine une plume imaginaire. Phue ! vous voilà envolée.

La dame soupira.

— Votre âme est trop grande pour votre corps ; votre intelligence vous emporte ; le drame, les beaux-arts, l’opéra, tout vous excite ; aussi vous faut-il une dame de compagnie douce, aimable, calme et sympathique. Quelles sont les qualités qui autorisent cette jeune fille à se présenter ?

Catherine fit de nouveau l’énumération de ses talents, non sans être fréquemment interrompue par les questions incidentes de M. Wititterly. Il fut convenu qu’on irait aux renseignements, et que dans deux jours on adresserait à miss Nickleby une réponse décisive sous le couvert de son oncle. Puis le mari reconduisit les solliciteuses jusqu’à la porte vitrée de l’escalier, et le gros laquais, le relevant à cet endroit, les pilota saines et sauves jusque dans la rue.

— Évidemment, dit madame Nickleby en prenant le bras de sa fille, ce sont des gens bien distingués. Quelle femme supérieure est cette madame Wititterly ! — Vous croyez, maman ? — Qui pourrait s’empêcher de le croire ? Elle est pâle, et a l’air mourant. J’espère qu’elle n’est pas près de sa fin, mais je conçois des craintes.

Ces considérations entraînèrent la sensible dame dans le calcul de la durée probable de la vie de madame Wititterly ; elle vit le veuf inconsolable offrir sa main à Catherine. Avant d’être arrivée chez elle, elle avait délivré l’âme de madame Wititterly de toute entrave matérielle, et marié sa fille en grande pompe en l’église Saint-Georges.

Les renseignements furent pris, la réponse fut favorable, sans que Catherine en ressentit une joie bien vive ; et, au bout d’une semaine, elle se transporta chez madame Wititterly, où nous la laisserons présentement.