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— Ne vous manque-t-il rien ? Avez-vous froid ?

— Je suis un peu frileuse, monsieur, répondit la mère de Kit.

— Je le savais ! s’écria le gentleman baissant une des glaces de devant. Elle aurait besoin d’un petit grog ! C’est bien naturel. Comment ai-je pu oublier cela ? Hé ! postillon, vous arrêterez à la plus prochaine auberge, et vous demanderez qu’on apporte un verre d’eau chaude et d’eau-de-vie. »

Vainement la mère de Kit s’épuisait à protester qu’elle n’avait aucun besoin de ce genre. Le gentleman était inexorable ; et toutes les fois qu’il ne savait plus quel autre cours donner à sa pétulance, il finissait invariablement par se rappeler et par conclure que la mère de Kit avait besoin d’un petit grog.

Ce fut de cette manière qu’ils voyagèrent jusqu’à près de minuit. Ils s’arrêtèrent alors pour souper. À ce repas, le gentleman demanda tout ce qu’il y avait dans la maison ; et parce que la mère de Kit ne pouvait manger de tout à la fois ni tout manger, il se mit en tête qu’elle devait être malade.

« Vous êtes triste, dit le gentleman qui ne faisait lui-même que se promener autour de la chambre. Je vois bien ce qui vous préoccupe, madame. Vous êtes triste.

— Vous êtes trop bon, monsieur ; je ne suis pas triste.

— Je sais que vous l’êtes. J’en suis sûr. J’arrache brusquement cette pauvre femme du sein de sa famille, et je m’étonne de la voir devenir de plus en plus triste ! Je suis gentil ! Combien d’enfants avez-vous, madame ?

— Deux, monsieur, sans compter Kit.

— Des garçons, madame ?

— Oui, monsieur.

— Sont-ils baptisés ?

— Jusqu’à présent ils n’ont été qu’ondoyés, monsieur.

— Je serai le parrain de l’un d’eux. Souvenez-vous-en, s’il vous plaît, madame. Vous auriez peut-être besoin de vin chaud, madame ?

— Je n’en pourrais boire une goutte, monsieur.

— Vous en avez besoin, dit le gentleman. Je vois que vous en avez besoin. J’aurais dû y songer d’abord. »

Aussitôt courant à la sonnette et demandant du vin chaud avec autant de précipitation que si l’on eût appelé, à l’instant même, au secours d’une personne asphyxiée ou noyée, le gentleman fit avaler à la mère de Kit une rasade de ce breuvage