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air d’être entré depuis quelques instants et qui tenait par le bras un jeune garçon.

« Femme, dit-il, voici votre sourd-et-muet de fils. Vous me devez des remercîments pour vous l’avoir rendu. Il a été conduit devant moi ce matin, chargé d’objets volés, et je vous assure que pour tout autre enfant l’affaire eût été rude. Mais comme j’avais compassion de son infirmité et que j’ai pu croire qu’il avait péché par ignorance, je me suis arrangé pour vous le ramener. À l’avenir, veillez mieux sur lui.

— Et moi, ne me rendrez-vous pas mon fils ? dit l’autre femme se levant et s’avançant vers le gentleman. Monsieur, ne me rendrez-vous pas mon fils qui a été transporté pour le même délit ?

Celui-là était-il sourd-et-muet ? demanda rudement le gentleman.

— Est-ce qu’il ne l’était pas, monsieur ?

— Vous savez bien qu’il ne l’était pas.

— Il l’était ! … s’écria la femme. Il était bel et bien sourd, muet et aveugle depuis le berceau. Son enfant à elle a péché par ignorance ! et le mien, comment pouvait-il en savoir davantage ? Où l’aurait-il appris ? Qui était là pour le mieux élever, et quel moyen de lui apprendre à mieux faire ?

— Silence, femme ! dit le gentleman. Votre fils possédait tous ses sens.

— Oui, il les possédait, s’écria la mère, et parce qu’il les possédait il n’en était que plus facile à égarer. Si vous faites grâce à cet enfant parce qu’il ne sait pas distinguer le bien du mal, pourquoi n’avez-vous pas épargné le mien à qui personne n’en avait jamais montré la différence ? Vous, messieurs, vous aviez aussi bien le droit de punir son enfant que Dieu a tenu dans l’ignorance des sons et des mots, que vous l’avez eu de punir le mien tenu par vous-mêmes dans l’ignorance de toutes choses. Combien de jeunes filles et de jeunes garçons, ah ! d’hommes et de femmes aussi, sont amenés devant vous sans que vous en ayez pitié, qui sont sourds-et-muets par l’esprit, et qui dans cet état font le mal, et qui dans cet état sont punis, corps et âme, tandis que vous autres messieurs vous êtes à discuter entre vous si on doit apprendre ceci ou cela ! Soyez juste, monsieur, et rendez-moi mon fils.

— Votre désespoir vous égare, dit le gentleman puisant dans sa tabatière, j’en suis fâché pour vous.