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côtés, aussi loin que l’œil pouvait mesurer l’interminable étendue, de hautes cheminées, superposées les unes sur les autres et offrant la répétition invariable de la même forme triste et laide qui est le fond horrible des mauvais rêves, vomissaient leur fumée pestilentielle, obscurcissaient la lumière et salissaient l’air assombri. Au bord de la route, sur des remblais de cendres maintenus seulement par quelques mauvaises planches ou des débris de toits de poulaillers, d’étranges machines s’agitaient et se tordaient comme des malheureux à la torture, faisant retentir leurs chaînes de fer, criant de temps à autre dans leur rapide évolution comme dans un supplice insupportable, et faisant trembler le sol du bruit de cette espèce d’agonie. Des maisons délabrées apparaissaient çà et là, penchant vers la terre, étayées par les ruines de celles qui étaient déjà tombées, sans toit, sans fenêtres, noires, dévastées et cependant habitées encore. Des hommes, des femmes, des enfants, pâles et déguenillés, conduisaient les machines, entretenaient les feux, ou mendiaient sur la route, ou se précipitaient à demi nus hors de leurs maisons sans porte. Alors affluèrent de plus en plus des monstres menaçants, ou du moins on pouvait le croire à leur air farouche et sauvage, criant, tournant dans un cercle sans fin ; et partout, devant, derrière, à droite, à gauche, la même perspective interminable de tours en briques, n’interrompant jamais leurs noires exhalaisons, détruisant tout être vivant, toute chose inanimée, absorbant la clarté du jour et étendant sur toutes ces horreurs un sombre et épais nuage.

Mais la nuit dans ce lieu épouvantable ! la nuit, quand la fumée se changea en feu ; quand toutes les cheminées vomirent leurs flammes ; quand les bâtiments, dont la voûte avait été noire durant le jour, s’éclairèrent d’une lueur rouge avec des figures que, par les ouvertures flamboyantes, on voyait s’agiter çà et là, et qu’on entendait s’appeler mutuellement et échanger des cris sauvages ; la nuit, quand le bruit de toutes les bizarres machines fut aggravé par l’obscurité ; quand les gens qui les desservaient parurent plus farouches et plus sauvages encore ; quand des troupes d’ouvriers sans ouvrage se répandirent sur les routes ou se groupèrent, à la lueur des torches, autour de leurs chefs qui, dans un langage rude, leur parlaient de leurs maux et les poussaient à jeter des cris violents, à proférer des menaces ; quand des forcenés, armés de sabres et de tisons ar-