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monie avec les émotions de l’enfant solitaire, et faisait naître en elle des pensées consolantes, mais qui n’appartenaient pas au monde où vivent les enfants, ni à ses joies faciles ; dans une de ces excursions qui étaient devenues son unique satisfaction, sa seule consolation, la lumière du jour s’était éteinte sous l’ombre du soir qui s’avançait de plus en plus vers la nuit, et cependant la jeune créature continuait d’errer dans les ténèbres : elle trouvait une compagnie dans cette nature si sereine, si paisible, tandis qu’au contraire le bruit des paroles et l’éclat des lumières éblouissantes eussent été pour elle la solitude.

Les deux sœurs étaient retournées à leur logis, et Nelly était seule. Elle leva ses yeux vers les brillantes étoiles qui projètent une si douce clarté du haut des vastes espaces du ciel ; à mesure qu’elle les contemplait, de nouvelles étoiles lui apparaissaient, puis d’autres au delà, puis d’autres encore, jusqu’à ce que toute l’étendue fût diamantée d’astres rayonnants de plus en plus élevés dans l’incommensurable infini, éternels dans leur multiplicité comme dans leur ordre immuable et indestructible. Nelly se pencha vers la rivière calme et limpide, et là elle vit les étoiles reluire dans leur même ordre, telles qu’au temps du déluge la colombe les vit se refléter dans les eaux débordées et profondes d’un million de lieues, bien au-dessus du sommet des montagnes, au-dessus du genre humain qui avait péri presque tout entier.

L’enfant s’assit en silence sous un arbre : la beauté de la nuit et toutes les merveilles qu’elle étale la frappaient d’une admiration muette. L’heure, le lieu éveillèrent ses réflexions : avec une espérance douce, moins d’espérance peut-être que de résignation, elle évoqua le passé, le présent et ce que l’avenir lui gardait en réserve. Entre elle et le vieillard il s’était opéré par degrés une séparation plus pénible à supporter qu’aucun des chagrins d’autrefois. Chaque soir, souvent même dans le jour, il s’absentait, il s’en allait seul ; et bien que Nelly sût où il allait et pourquoi il s’absentait, car les yeux hagards de son grand-père et les appels constants qu’il faisait à sa pauvre bourse épuisée étaient de trop sûrs indices, cependant le vieillard évitait toute question, se renfermait dans une réserve entière et fuyait même la présence de sa petite-fille.

Nelly, assise à l’écart, méditait donc sur ce changement avec une tristesse empreinte de la teinte mélancolique que la nuit ré-