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justice, qui a le bras long. Cette déroute provint de l’étourderie d’un nouvel affidé, le jeune Frédéric Trent, qui, en divulguant le secret de ses complices, devint ainsi, à son insu, l’instrument de leur châtiment comme du sien.

Ce jeune homme passa à l’étranger, où, pendant quelque temps, il s’abandonna à toutes sortes d’excès, vivant de son industrie, autrement dit, de l’abus de toutes les facultés qui, dignement employées, élèvent l’homme au-dessus de la bête, mais qui le ravalent au contraire au-dessous d’elle lorsqu’il s’est ainsi dégradé. Peu de temps après, son corps, tout meurtri et défiguré par quelque rixe violente, fut reconnu par un Anglais qui visitait par hasard le bâtiment spécial de la Morgue, à Paris, où sont exposés les noyés. Mais cet Anglais garda prudemment le secret jusqu’à son retour dans son pays, et le corps de Frédéric Trent ne fut réclamé par personne.

Le gentleman, désignation familière sous laquelle nous avons fait connaître le frère du grand-père de Nelly, voulait absolument tirer le pauvre maître d’école de sa retraite ignorée pour faire de lui son compagnon et son ami ; mais l’humble instituteur de village craignait de s’aventurer dans un monde bruyant, et d’ailleurs, il s’était habitué à aimer le voisinage du vieux cimetière. Calme et heureux dans son école, dans son pays d’adoption, et surtout dans son attachement pour sa chère petite amie tant pleurée, il continua tranquillement sa vie paisible et demeura, malgré l’insistance du reconnaissant gentleman, ce qu’on peut exprimer en peu de mots, un pauvre maître d’école, rien de plus.

Son ami, le gentleman, ou le plus jeune frère, comme vous voudrez, avait conservé au fond du cœur un pesant chagrin. Mais ce chagrin ne faisait de lui ni un misanthrope ni un ermite. Il traversait le monde en gardant ses affections. Longtemps, très-longtemps, son principal plaisir fut de rechercher la trace des lieux par où avaient passé le vieillard et l’enfant, autant que les derniers récits de Nelly lui permirent de retrouver ces indices, de s’arrêter là où ils s’étaient arrêtés, de méditer là où ils avaient souffert, et de se réjouir là où ils avaient éprouvé quelque bon traitement. Ceux qui leur avaient témoigné quelque bonté ne purent échapper à ses recherches. Les deux sœurs du pensionnat de miss Monflathers, qui avaient été aimées de Nelly parce qu’elles-mêmes n’avaient pas d’amis ; mis-