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vous avez partagés ; à toutes les fatigues et à toutes les paisibles jouissances que vous avez connues ensemble.

— J’y songe, j’y songe bien. Je ne songe à rien autre.

— Je désire que cette nuit vous ne songiez pas à autre chose, mon cher ami, que vous songiez uniquement à ces sujets qui peuvent calmer votre cœur et l’ouvrir aux impressions d’autrefois, aux souvenirs du temps passé. C’est ainsi qu’elle vous parlerait elle-même, et c’est en son nom que je vous parle.

— Vous faites bien de parler à voix basse, dit le vieillard. Cela fait que nous ne l’éveillerons pas. Oh ! que je serais content de revoir ses yeux, de revoir son sourire. En ce moment, il y a bien encore un sourire sur son jeune visage ; mais il est fixe et immobile. Je voudrais le voir aller et venir. Cela arrivera au temps du bon Dieu. Ne l’éveillons pas.

— Ne parlons point de ce qu’elle est dans son sommeil, mais de ce qu’elle était habituellement quand vous voyagiez ensemble, bien loin ; de ce qu’elle était au logis, dans la vieille maison d’où vous avez fui ensemble ; de ce qu’elle était dans votre bon temps d’autrefois.

— Elle était toujours joyeuse, bien joyeuse, s’écria le vieillard en regardant fixement le maître d’école. D’ailleurs, du plus loin que je me souvienne, je lui ai toujours vu quelque chose de doux et de tranquille ; mais aussi c’est qu’elle était d’un bien heureux naturel.

— Nous vous avons entendu dire, ajouta le maître d’école, qu’en cela, comme en toutes ses qualités, elle était l’image de sa mère. Ne pouvez-vous y songer et vous rappeler sa mère ? »

Le vieillard continua de le regarder fixement, mais sans rien répondre.

« Ou même, dit à son tour le vieux garçon, vous rappeler celle qui l’avait précédée ? Il y a bien des années de cela, et l’affliction allonge la durée du temps ; mais vous n’avez pas oublié celle dont la mort contribua à vous rendre si chère cette enfant, avant même que vous pussiez savoir si elle était digne de votre affection, ni lire dans son cœur ? Vous pourriez, par exemple, ramener vos pensées sur les jours les plus éloignés, sur la première partie de votre existence, sur votre jeunesse, que vous n’avez point passée tout seul comme cette charmante fleur. Voyons ! ne pouvez-vous pas vous rappeler, à une longue dis-