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Miss Brass leva son visage qu’elle avait jusque-là tenu appuyé sur ses mains, et, mesurant Sampson de la tête aux pieds, elle dit avec un ricanement amer :

« Quand je pense que cet être-là est mon frère ! … Mon frère, pour qui j’ai travaillé, pour qui je me suis usée à la peine ; mon frère, chez qui je croyais qu’il y avait quelque chose d’un homme !

— Ma chère Sarah, répondit Sampson en se frottant légèrement les mains, vous troublez nos amis. D’ailleurs, vous… vous êtes contrariée, Sarah, et comme vous ne savez plus ce que vous dites, vous vous exposez.

— Oui, pitoyable poltron, je vous comprends. Vous avez eu peur que je ne prisse les devants sur vous. Moi ! moi ! me croire capable de me laisser prendre à dire un mot ! Non, non, j’eusse résisté dédaigneusement à vingt ans d’attaques comme celles-là.

— Hé ! hé ! dit avec un sourire niais Sampson Brass, qui, dans son profond affaissement, semblait réellement avoir changé de sexe avec sa sœur, et avoir fait passer dans Sarah les quelques étincelles de virilité qui avaient pu briller en lui, vous croyez cela : il est possible que vous le croyiez ; mais vous auriez changé d’avis, mon garçon. Vous vous seriez rappelé la maxime favorite du vieux Renard, notre vénérable père, messieurs : « Méfiez-vous de tout le monde. » C’est une maxime qu’on doit avoir présente à l’esprit durant la vie entière ! Si vous n’étiez pas encore décidée à acheter votre salut, au moment où je suis venu vous surprendre, je soupçonne que vous eussiez fini par le faire. Aussi l’ai-je fait, moi ; et je vous en ai épargné l’ennui et la honte. La honte, messieurs, ajouta Brass se donnant l’air légèrement ému, s’il y en a, qu’elle soit pour moi. Il vaut mieux qu’une femme ne la subisse pas ! … »

Quelque respect que nous ayons pour le jugement de M. Brass, et particulièrement pour l’autorité du grand ancêtre, il nous est permis de douter, en toute humilité, que la maxime professée par le vieux Renard et mise en pratique par son descendant, soit toujours prudente et produise toujours les résultats qu’on peut en attendre. Je sais bien que ce doute, en dehors même de la question, est hardi et téméraire, d’autant plus qu’une foule de gens éminents, qu’on appelle des hommes du monde, à la mine longue, au regard futé, aux calculs subtils, aux mains crochues, des aigrefins, des tricheurs, des filous,