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lant, l’ouvrit… Et voilà qu’on aperçoit un homme aux formes athlétiques, avec une grande manne qu’il traîne dans la chambre, qu’il découvre et qui laisse échapper de ses larges flancs des trésors de thé, café, vin, biscuits, oranges, raisins, poulets à rôtir et à bouillir, gelée de pieds de veau, arrow-root, sagou et autres ingrédients délicats. La petite servante, comme pétrifiée et immobile, avec son unique soulier au pied, restait à contempler ces objets, dont l’existence simultanée ne lui semblait possible que dans les boutiques. L’eau lui était venue tout à la fois aux yeux et à la bouche, et la pauvre enfant était incapable d’articuler un mot. Mais il n’en était pas de même de M. Abel, ni du gaillard robuste qui, en un clin d’œil, avait vidé la manne, toute pleine qu’elle était, ni d’une bonne vieille dame qui apparut si soudainement, qu’elle était sans doute auparavant derrière la manne, assez large du reste pour la cacher, et qui, allant à droite, à gauche, partout en même temps sur la pointe du pied et sans bruit, se mit à remplir de gelée les tasses à thé, à faire du bouillon de poulet dans de petites casseroles, à peler des oranges pour le malade et à les distribuer par tranches, à offrir à la petite servante un verre de vin et à lui choisir quelques morceaux jusqu’à ce que des mets plus substantiels fussent préparés pour remettre ses forces. Il y avait tant d’imprévu et presque de magie dans ce coup de théâtre, que M. Swiveller, après avoir pris deux oranges avec un peu de gelée, et vu le gros porteur s’en aller avec sa manne vide, en laissant à sa disposition cette abondance de trésors, ne trouva rien de mieux à faire que de se rejeter sur l’oreiller et de se rendormir, tant son esprit était hors d’état de comprendre de tels miracles.

Pendant ce temps, le gentleman, le notaire et M. Garland s’étaient rendus à un café. Là, ils rédigèrent une lettre qu’ils envoyèrent à miss Sally Brass, la priant en termes mystérieux et concis de vouloir bien accorder le plus tôt possible l’honneur de sa compagnie à un ami inconnu qui désirait la consulter et qui l’attendait en ce lieu. Cette communication eut le plus prompt résultat : dix minutes à peine s’étaient écoulées depuis le retour du messager, lorsqu’on annonça miss Brass en personne.

« Madame, dit le gentleman seul alors dans la salle, veuillez prendre une chaise. »

Miss Brass s’assit d’un air très-roide et très-froid. Elle parut