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longé jusqu’au coin de la rue, tourna, revint sur ses pas, et alors s’arrêta de sa propre volonté.

« Oh ! vous faites un joli coco ! … dit l’homme qui ne voulait pas s’aventurer légèrement à peindre le poney sous des couleurs plus tranchées avant d’avoir mis en toute sécurité pied à terre sur le trottoir. Je voudrais bien te voir une bonne fois récompensé comme tu le mérites, va !

— Qu’est-ce qu’il a fait ? dit M. Abel qui tournait un châle autour de son cou tout en descendant les marches.

— Il y a de quoi mettre un homme hors de lui, répondit le valet d’écurie. C’est bien le coquin le plus vicieux… Ohah ! vas-tu rester tranquille !

— Ce n’est pas le moyen qu’il reste tranquille, si vous lui lancez des injures, dit M. Abel qui s’installa dans la voiture, les guides en main. Il est très-bon enfant quand on sait le prendre. Voici, depuis longtemps, la première fois qu’il sort, car il a perdu son conducteur, et jusqu’à ce matin il n’a pas voulu bouger. Les lanternes sont prêtes, n’est-ce pas ? Bien. Trouvez-vous ici demain, à la même heure, s’il vous plaît, pour tenir mon cheval. Bonsoir. »

Après une ou deux cabrioles de son invention, le poney céda à la douceur de M. Abel et se mit à trotter gentiment.

Durant tout ce temps, M. Chukster s’était tenu debout sur le seuil de la porte. En le voyant, la petite servante n’avait pas osé s’approcher. Elle n’eut donc d’autre parti à prendre que de courir après le phaéton et de crier à M. Abel d’arrêter. Mais, par suite de cette course haletante, elle était hors d’état de se faire entendre. Le cas était désespéré, car le poney pressait le pas. La marquise se pendit quelques instants à la voiture ; mais sentant qu’elle ne pouvait aller plus loin, et que bientôt même il lui faudrait renoncer à son projet, elle grimpa, d’un bond vigoureux, sur le siège de derrière, et, dans cette ascension, perdit sans retour un de ses souliers.

M. Abel étant dans une disposition d’esprit rêveuse, et ayant d’ailleurs assez à faire de diriger le poney, allait au petit trot sans se retourner. Il était bien loin de songer à l’étrange figure qu’il traînait derrière lui, jusqu’à ce que la marquise, un peu remise de sa suffocation, de la perte de son soulier et de la nouveauté de sa situation, jeta tout près de son oreille ces mots :

« Dites donc, monsieur…. »