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la rue du notaire, elle était presque épuisée et à bout de forces : elle en avait la larme à l’œil.

Mais enfin la voilà arrivée, c’était une grande consolation ; d’autant plus que par la fenêtre de l’étude elle vit briller des lumières, et put espérer par conséquent qu’il n’était pas trop tard. Elle s’essuya donc les yeux avec le revers de sa main, et, montant tout doucement les degrés du perron, regarda à travers les vitres.

M. Chukster était debout derrière son bureau. Il faisait ses dispositions de fin de journée, comme de tirer ses poignets, de relever son col de chemise, de rattacher plus gracieusement sa cravate et d’arranger secrètement ses moustaches à l’aide d’un petit morceau de miroir d’une forme triangulaire. Devant le feu se tenaient deux gentlemen : l’un d’eux lui parut être le notaire, et elle ne se trompait pas ; l’autre, qui boutonnait sa grande redingote pour s’apprêter à partir, M. Abel Garland.

Ces observations faites, la petite rusée tint conseil avec elle-même. Elle résolut d’attendre dans la rue la sortie de M. Abel. Alors elle n’aurait plus à craindre d’être forcée de parler devant M. Chukster, et il lui serait plus facile de remplir son message. Dans cette intention, elle se laissa glisser au bas de la fenêtre, traversa la rue et alla s’asseoir sur le pas d’une porte juste en face.

À peine avait-elle pris cette position, qu’un poney arriva en dansant tout le long de la rue avec ses jambes en zigzag et sa tête qui se tournait de tous côtés. Derrière le poney un phaéton, et dans le phaéton un homme ; mais le poney ne semblait s’inquiéter ni du phaéton ni de l’homme : car tour à tour il se levait sur ses jambes de derrière, ou s’arrêtait, ou s’élançait, ou s’arrêtait de nouveau, ou reculait, ou se jetait de côté, sans le moindre égard pour l’un ni pour l’autre, selon que la fantaisie l’en prenait, et comme s’il avait à cœur de montrer qu’il était l’animal le plus libre qu’il y eût dans le monde. Quand la voiture arriva à la porte du notaire, l’homme dit d’une manière très-respectueuse : « Ohah ! c’est ici ! » ayant l’air de faire entendre que, s’il prenait l’extrême liberté d’émettre un vœu, ce serait celui de s’arrêter en cet endroit. Le poney fit une pause d’un moment ; mais, comme s’il eût réfléchi que s’arrêter lorsqu’on l’en priait serait établir un précédent peu convenable et même dangereux, il repartit immédiatement, courut au trot al-