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lentement ! et quel transport fébrile quand la petite sonnette retentit et que l’orchestre attaqua vivement l’ouverture avec roulement de tambours et accompagnement harmonieux de triangle ! La mère de Barbe dit avec raison à la mère de Kit que la galerie était le meilleur endroit pour bien voir, et s’étonna de ce que les places n’y coûtaient pas beaucoup plus cher que celles des loges. Dans l’excès de son plaisir, Barbe ne savait si elle devait rire ou pleurer.

Et le spectacle donc, ce fut bien autre chose ! Les chevaux, que le petit Jacob reconnut tout de suite pour être en vie ; et les dames et les messieurs, à la réalité desquels rien ne put jamais le faire croire, parce qu’il n’avait rien vu ni entendu de sa vie qui leur ressemblât ; les pièces d’artifice qui firent fermer les yeux à Barbe ; la Dame abandonnée, qui la fit pleurer ; le Tyran, qui la fit trembler ; l’homme qui chanta une chanson avec la suivante de la Dame et dansa au refrain, ce qui fit rire Barbe ; le poney qui se dressa sur ses jambes de derrière, à l’aspect du meurtrier, et ne voulut pas marcher sur ses quatre pieds avant que le coupable eût été arrêté ; le Clown qui se permit des familiarités avec le militaire en bottes à l’écuyère ; la Dame qui s’élança par-dessus vingt-neuf rubans et tomba saine et sauve sur un cheval ; tout était délicieux, splendide, surprenant. Le petit Jacob applaudissait à s’en écorcher les mains ; il criait : « Encore ! » à la fin de chaque scène, même quand les trois actes de la pièce furent terminés ; et la mère de Barbe, dans son enthousiasme, frappa de son parapluie sur le plancher, au point d’user le bout jusqu’au coton.

Malgré cela, au milieu de ces tableaux magiques, les pensées de Barbe semblaient la ramener encore à ce que Kit avait dit au moment où on prenait le thé. En effet, tandis qu’ils revenaient du théâtre, elle demanda au jeune homme, avec un sourire tendre, si miss Nell était aussi jolie que la dame qui avait sauté par-dessus les rubans.

« Aussi jolie que celle-là ! dit Kit. Deux fois plus jolie.

— Oh ! Christophe, dit Barbe, je suis sûre que cette dame est la plus belle créature qu’il y ait au monde.

— Quelle bêtise ! répliqua-t-il. Elle n’est pas mal, je ne le nie pas ; mais songez comme elle était peinte et bien habillée, et quelle différence cela fait. Tenez, vous, Barbe, vous êtes beaucoup mieux qu’elle.