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Cependant l’heure était arrivée de songer au spectacle, pour lequel on avait fait de grands préparatifs en châles et chapeaux, sans compter un mouchoir plein d’oranges et un autre rempli de pommes qu’ils eurent quelque peine à nouer, car ces fruits rebelles avaient une tendance à s’échapper par les coins. Enfin, tout étant prêt, ils partirent d’un bon pas. La mère de Kit tenait à la main le plus petit des enfants qui était terriblement éveillé ; Kit conduisait le petit Jacob et donnait le bras à Barbe ; ce qui faisait dire aux deux mères qui venaient par derrière qu’ils semblaient tous ne faire qu’une seule et même famille. Barbe rougit et s’écria : « Finissez donc, maman. » Mais Kit lui dit qu’elle ne devait pas se mêler de ce que disaient ces dames ; et en vérité elle eût aussi bien fait de ne pas y prendre garde, si elle eût su combien il était loin de songer à lui faire la cour. Pauvre Barbe !

Enfin, ils arrivèrent au théâtre ; c’était le cirque d’Astley. À peine se trouvaient-ils depuis deux minutes devant la porte fermée encore, que le petit Jacob fut rudement pressé, que le poupon reçut plusieurs meurtrissures, que le parapluie de la mère de Barbe fut emporté à vingt pas et lui revint par-dessus les épaules de la foule, que Kit frappa un individu sur la tête avec le mouchoir rempli de pommes, pour avoir poussé violemment sa mère, et qu’il s’éleva à ce sujet une vive rumeur. Mais lorsqu’ils eurent passé le contrôle et se furent frayé un chemin, au péril de leur vie, avec leurs contre-marques à la main ; lorsqu’ils furent bel et bien dans la salle, assis à des places aussi bonnes que s’ils les eussent retenues d’avance, toutes les fatigues précédentes furent considérées comme un jeu, peut-être même comme une partie essentielle des plaisirs du spectacle.

Mon Dieu ! mon Dieu ! qu’il leur parut beau, ce théâtre d’Astley ! avec ses peintures, ses dorures, ses glaces, avec la vague odeur de chevaux qui faisait pressentir les merveilles dont on allait jouir ; avec le rideau qui cachait de si prodigieux mystères, la sciure de bois blanc fraîchement semée dans le cirque, la foule entrant et prenant ses places, les musiciens qui regardaient les spectateurs avec indifférence tout en accordant leurs instruments, comme s’ils n’avaient pas besoin de voir le spectacle pour commencer et comme s’ils savaient la pièce par cœur ! Quel éclat se répandit partout autour d’eux lorsque la longue et lumineuse rangée des quinquets de la rampe monta