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une angoisse nouvelle s’empara de son esprit, et celle-là était à peine moins cruelle que le reste. L’enfant, cette brillante étoile qui avait rayonné sur son humble existence ; l’enfant, qui toujours se représentait à son souvenir comme un beau rêve ; l’enfant qui avait fait, de la partie de sa vie la plus pauvre et la plus misérable, la plus heureuse et la meilleure ; que penserait-elle si elle venait à apprendre cet événement !… Quand cette idée vint se présenter à son esprit, les murs de la prison semblèrent s’écrouler pour faire place à la vieille boutique d’autrefois, telle qu’elle était par les nuits d’hiver, avec le foyer, avec le souper sur la petite table, avec le chapeau, l’habit et la canne du vieillard, avec cette porte demi-close qui menait à la chambrette de l’enfant : tout revivait dans son souvenir, tout était à sa place. Nell y était, et lui aussi, tous deux riant de bon cœur comme ils avaient fait souvent ; et après s’être égaré dans ces douces visions, Kit ne put aller plus loin ; il se jeta sur sa misérable couchette pour s’abandonner à ses larmes.

Qu’elle fut longue cette nuit-là ! longue à n’en plus finir ! Cependant Kit s’endormit et rêva. Il se voyait toujours en liberté et cheminant tantôt avec une personne, tantôt avec une autre ; mais une vague crainte d’être remis en prison traversait constamment ces rêves : ce n’était pas cette prison même qui s’offrait à son imagination, mais bien plutôt une idée lugubre, l’image sombre sinon d’un cachot, du moins de la tristesse et de la peine, l’image d’un événement accablant, image toujours présente, quoique toujours indéfinissable.

L’aube apparut enfin, et avec elle la réalité froide, noire, effrayante, la réalité en un mot. Mais Kit eut la consolation d’être laissé seul à lui-même. On lui permit de se promener, à une certaine heure, dans une petite cour pavée : le guichetier qui était venu lui ouvrir son cachot et lui montrer où il devait se laver, lui apprit qu’il y avait pour les visites faites aux prisonniers un espace de temps déterminé, et que, si quelqu’un de ses amis se présentait afin de le voir, on le ferait descendre au guichet. Après lui avoir donné ces informations ainsi qu’une écuelle d’étain contenant son déjeuner, le guichetier le verrouilla de nouveau ; puis cet homme s’en alla bruyamment le long du couloir de pierre, ouvrant et fermant tour à tour un grand nombre d’autres portes et faisant retentir des échos sonores qui se prolongeaient et se répétaient dans l’étendue du bâtiment,