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plus prononcées que celles de sa sœur ; puis, par un retour sur elle-même, elle ajouta d’un ton suppliant :

« Surtout n’en dites rien, car je serais battue à mort.

— Marquise, dit M, Swiveller en se levant, la parole d’un gentleman a autant de valeur que son billet, quelquefois même elle en a davantage ; dans le cas présent, par exemple, où son billet pourrait rencontrer du doute et de la méfiance. Je suis votre ami, et j’espère que nous pourrons jouer encore plusieurs parties liées dans ce même salon. Mais, à propos, marquise, ajouta Richard s’arrêtant dans son trajet vers la porte et décrivant lentement un cercle autour de la petite servante qui le suivait avec la chandelle à la main, il est évident pour moi que vous devez avoir l’habitude constante de faire prendre l’air à votre œil par le trou de la serrure pour en savoir si long.

— C’était seulement parce que je voulais savoir, répondit en tremblant la marquise, où était cachée la clef du garde-manger, voilà tout ; et si je l’avais trouvée, je n’aurais pas pris grand-chose, seulement de quoi apaiser ma faim.

— Alors vous ne l’avez pas trouvée ; car vous seriez plus grasse. Bonsoir, marquise. Porte-toi bien, et si je te quitte pour jamais, à jamais porte-toi bien. Tends la chaîne de la porte, marquise, de crainte d’accident. »

Sur ces dernières recommandations, M. Swiveller sortit de la maison ; et, trouvant qu’il avait bu tout autant qu’il convenait à sa constitution (la bière à l’absinthe est un breuvage si capiteux ! ) il se détermina sagement à se rendre chez lui et à se mettre au lit. Il gagna donc ses appartements, car il avait conservé la fiction du pluriel ; et, comme ses appartements n’étaient qu’à une courte distance de l’étude, bientôt Richard se trouva dans sa chambre à coucher où, ayant ôté une botte et oublié l’autre à son pied, il se laissa aller à une profonde méditation.

« Cette marquise, se dit-il en croisant ses bras, est une personne tout à fait extraordinaire. Le mystère l’entoure. Elle ignore le goût de la bière. Elle ne connaît pas son nom (ce qui est moins étonnant), et elle n’a pris quelques notions bornées de la société qu’à travers les trous des serrures. Tout cela était-il écrit dans sa destinée, ou bien quelque créancier inconnu a-t-il mis l’embargo sur les décrets du sort ? Mystère profond et terrible ! »