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tiques, tandis qu’il savourait lentement les dernières gouttes du nectar.

« Le baron Sampsono Brasso et sa charmante sœur sont, me dites-vous, au spectacle ? » dit M. Swiveller, appuyant d’aplomb son bras gauche sur la table et élevant sa voix avec sa jambe droite, à la manière des bandits de théâtre.

La marquise fit un signe de tête.

« Ah ! dit M. Swiveller avec un majestueux froncement de sourcils, c’est bien, marquise ! Mais que nous importe ! … Du vin, holà ! »

Comme accompagnement à ces déclamations mélodramatiques il se présenta le vidrecome avec beaucoup de respect et fit claquer ses lèvres avec une satisfaction farouche.

La petite servante, qui était loin de posséder aussi bien que M. Swiveller le secret des ficelles théâtrales, n’ayant jamais vu une comédie ni entendu parler de rien de semblable, à moins que ce ne fût par hasard, à travers les fentes des portes ou en tout autre endroit défendu, fut passablement alarmée de ces démonstrations si nouvelles pour elle ; et ses regards témoignèrent si manifestement de son trouble, que M. Swiveller jugea qu’il devait, par charité, échanger sa pose de brigand contre une attitude plus conforme à la vie habituelle.

« Est-ce qu’ils vous laissent souvent ici pour voler où la gloire les appelle ? demanda-t-il.

— Oh ! oui, je crois bien ! répondit la petite servante, Miss Sally est si gagneuse !

— Si… ?

— Si gagneuse ! » répéta la marquise.

Après un moment de réflexion, M. Swiveller se détermina à ne plus se préoccuper de rectifier le langage de la jeune fille et à la laisser babiller à l’aise : il était évident que sa langue était déliée par la bière à l’absinthe ; et d’ailleurs, elle n’était pas assez souvent en humeur de discourir pour qu’il dût perdre le temps à discuter un petit barbarisme de plus ou de moins.

« Ils vont quelquefois voir M. Quilp, dit la petite servante avec un regard futé ; ils vont bien aussi ailleurs. Dieu merci.

— Est-ce que M. Brass est aussi un gagneur ?… demanda Dick.

— Pas la moitié autant que miss Sally, pour sûr, répondit la petite servante en secouant la tête. Dieu merci ! il ne ferait rien de rien sans elle.