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avec un mort, en supposant des mises de vingt, trente et quelquefois cinquante livres de chaque côté, sans compter les paris hasardeux qui s’élevaient à un chiffre fabuleux.

Tandis que le jeu se poursuivait dans le plus grand silence, malgré l’importance des intérêts qui y étaient attachés, M. Swiveller en vint à penser que les soirs où M. et miss Brass étaient dehors, et maintenant cela leur arrivait souvent, il entendait une sorte de ronflement ou de respiration difficile dans la direction de la porte : après réflexion, il avisa que ce bruit pourrait bien provenir de la petite servante qui avait un rhume perpétuel causé par l’humidité de sa résidence. Un soir donc, regardant avec attention de ce côté, il aperçut distinctement un œil qui brillait au trou de la serrure ; ne doutant plus de la justesse de ses soupçons, il se glissa doucement jusqu’à la porte, et fondit à l’improviste sur la petite curieuse.

« Oh ! je ne voulais pas faire de mal. Sur ma parole, je ne voulais pas faire de mal, s’écria la petite servante, se débattant avec une vigueur qui n’était pas de sa taille. La cuisine en bas est si triste ! Je vous en prie, n’en dites rien ; je vous en prie, ne le dites pas.

— Et pourquoi donc le dirais-je ? … N’était-ce pas pour chercher compagnie que vous regardiez à travers le trou de la serrure !

— Oui, ce n’est que pour ça, ma parole.

— Y a-t-il longtemps que vous vous amusez à vous glacer l’œil à cet exercice ? demanda Richard.

— Oh ! depuis que vous avez commencé pour la première fois à jouer aux cartes, et même longtemps avant. »

Le vague souvenir de divers amusements fantastiques auxquels il s’était livré pour se rafraîchir des fatigues du travail, et dont sans doute la petite servante avait été témoin, déconcerta passablement M. Swiveller : mais il n’était pas assez sensible à cet égard pour ne point se remettre promptement.

« C’est bien, venez, dit-il après un moment de réflexion ; venez ici, asseyez-vous. Je vous apprendrai à jouer.

— Oh ! je n’oserais pas, répondit la petite servante. Miss Sally me tuerait si elle savait que je suis entrée ici.

— Avez-vous du feu en bas ? demanda Richard.

— Un tantinet.

— Ma foi ! miss Sally ne me tuera pas, moi, si elle vient à sa-