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M. Chukster s’étant levé eût probablement continué sur le même sujet et avec plus d’emphase encore, mais un coup appliqué à la porte et qui semblait annoncer l’arrivée de quelque client, l’obligea de prendre un air de calme qui ne s’accordait guère avecla violence de ses dernières paroles. En entendant ce même bruit, M. Swiveller imprima à son tabouret un mouvement rapide de rotation sur un des pieds et le fit tourner en face du pupitre, où il fourra le tisonnier que, dans le trouble de ses esprits, il avait oublié de déposer à sa place légitime, en criant :

« Entrez ! »

Or, qui est-ce qui se présenta ? Précisément ce même Kit qui venait d’être le thème des injures de M. Chukster ! Jamais homme ne reprit si vivement courage et ne parut plus féroce que M. Chukster lorsqu’il vit le nouveau venu. Quant à M. Swiveller, il considéra un moment Kit ; puis sautant à bas de son tabouret et retirant le tisonnier de l’endroit où il l’avait caché, il s’en servit pour exécuter avec une sorte de frénésie toutes les passes et les parades de l’escrime à l’espadon.

« Le gentleman est-il chez lui ? » dit Kit passablement étonné de cette réception peu ordinaire.

Avant que M. Swiveller eût pu répondre, M. Chukster saisit l’occasion pour protester du ton d’un homme indigné contre cette manière de demander les gens, manière irrespectueuse, dit-il, et digne d’un snob.

« Lorsque vous voyez deux gentlemen ici présents, comment osez-vous dire le gentleman ? Ne pouviez-vous dire au moins l’autre gentleman ? ou plutôt, car il n’est pas impossible que celui que vous demandez soit de qualité inférieure, pourquoi n’avez-vous pas dit son nom tout court, laissant à ceux qui vous entendent le soin de lui donner eux-mêmes sa qualité ? J’ai quelque raison de croire que c’est une insulte personnelle que vous avez voulu me faire ; je ne suis pas homme à permettre que l’on s’avise de badiner avec moi, comme certains snobs que je ne veux point nommer pourraient bien l’apprendre à leurs dépens.

— Je demande le gentleman de là-haut, dit Kit se tournant vers Richard Swiveller. Est-il chez lui ?

— Pourquoi ? répondit Richard.

— Parce que s’il y est, j’ai une lettre pour lui.