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l’avaient réduite. Depuis cette époque jusqu’à la fin, jamais, non, jamais, même dans un moment d’oubli, il ne se préoccupa plus de sa propre personne ; jamais aucune pensée, aucune considération d’intérêt particulier ne vint le distraire de la contemplation du gracieux objet de son amour.

Il la suivait partout pour guetter l’instant où elle serait fatiguée et sentirait le besoin de s’appuyer sur son bras ; il s’asseyait en face d’elle au coin de la cheminée, heureux de veiller sur elle et de la regarder, jusqu’à ce qu’elle relevât la tête et lui sourît comme autrefois ; il lui épargnait avec empressement les soins domestiques qui eussent pu excéder la mesure de ses forces ; pendant les sombres et froides nuits, il se levait pour écouter le souffle de son enfant endormie, et parfois il restait penché des heures entières au chevet de son lit rien que pour avoir le plaisir de toucher sa main. Celui qui sait tout peut seul savoir combien d’espérances, combien de craintes, combien de pensées d’affection profonde se croisaient dans ce cœur déchiré, et quel changement s’était opéré chez le pauvre vieillard.

Quelquefois (bien des semaines s’étaient écoulées déjà) l’enfant, épuisée même au bout de peu d’efforts, passait toute la soirée sur un lit de repos devant le feu. Alors le maître d’école apportait des livres et lui faisait la lecture à haute voix ; mais rarement la soirée s’écoulait sans que le vieux bachelier vint aussi et se mît à lire à son tour. Le grand-père restait assis à écouter, il n’écoutait guère, mais il tenait ses yeux fixés sur l’enfant ; et si elle souriait, si elle s’animait au récit qu’elle entendait, le vieillard disait que ce récit était plein d’intérêt, et il se prenait à aimer le livre. Lorsque, dans la causerie de la soirée, le vieux bachelier racontait quelque histoire qui plaisait à Nelly, et les histoires du vieux bachelier ne manquaient jamais de lui plaire, le vieillard s’efforçait, bien qu’à grand’peine, de la graver dans son esprit ; de plus, quand le vieux bachelier prenait congé d’eux, parfois le vieillard courait après lui et le priait humblement de vouloir bien lui redire quelque partie de son histoire qu’il désirait apprendre pour obtenir un sourire de Nelly.

Mais ces circonstances ne se produisaient par bonheur que rarement : car l’enfant n’aimait qu’à être dehors et à se promener dans son jardin solennel. Bien des personnes aussi venaient visiter l’église ; et comme ceux qui étaient venus parlaient de l’enfant à leurs amis, il s’en présentait beaucoup d’autres : si bien