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— Qu’il en soit ainsi ou non, pensa Nelly, je ferai de cet endroit mon jardin. Ce ne sera pas déjà si rude d’y donner un petit coup de bâche, et je suis certaine que j’y trouverai du plaisir. »

Le fossoyeur ne remarqua ni la coloration de ses joues brûlantes ni les larmes qui humectaient ses yeux. Il s’était tourné vers David qu’il appela par son nom. Bien évidemment la question de l’âge de Becky Morgan le troublait encore, quoique l’enfant eût peine à comprendre pourquoi.

Le deuxième ou troisième appel fait par son nom attira enfin l’attention du vieux compagnon, qui interrompit sa tâche, s’appuya sur sa bêche et posa sa main contre son oreille dure.

« Est-ce que vous m’appelez ? dit-il.

— J’aurais cru, Davy, répondit le fossoyeur, que Becky Morgan… et il montra la tombe, était bien plus âgée que vous ou moi.

— Soixante-dix-neuf ans, répondit le vieillard avec un triste balancement de tête. Je vous dis que je l’ai vu.

— Vous l’avez vu ?… Oui ; mais, Davy, les femmes n’avouent pas toujours leur âge.

— C’est possible tout de même, s’écria le compagnon, dont les yeux brillèrent tout à coup. Elle pouvait bien être plus âgée.

— J’en suis sûr. Songez donc seulement comme elle paraissait vieille. Vous et moi nous n’avions l’air que d’enfants auprès d’elle.

— Elle paraissait vieille, répéta David. Vous avez raison ; elle paraissait vieille.

— Rappelez-vous, dit le fossoyeur, combien depuis longues, longues années, elle paraissait vieille ; comment voulez-vous qu’elle n’eût que soixante-dix-neuf ans, notre âge seulement ?

— Elle devait avoir pour le moins cinq ans de plus que nous ! s’écria l’autre.

— Cinq ans !… repartit le fossoyeur ; dites plutôt dix. Elle avait bien quatre-vingt-neuf ans. Rappelez-vous l’époque à laquelle sa fille mourut. Certainement elle avait quatre-vingt-neuf ans comme un jour, et la voilà qui veut se donner dix ans de moins !… Ô vanité humaine !… »

En fait de réflexions morales sur ce thème abondant, le compagnon ne resta pas en arrière, et tous deux ensemble y ajou-