Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

David, qui bêchait ferme, n’entendit pas un mot de cette question. Le fossoyeur, qui ne pouvait réussir à l’atteindre avec sa béquille et qui était aussi trop infirme pour se lever sans assistance, appela son attention en lui jetant sur son bonnet de coton rouge une motte de terre.

« Qu’est-ce qu’il y a ? dit David en le regardant.

— Quel âge avait Becky Morgan ? demanda le fossoyeur.

— Becky Morgan ? répéta David.

— Oui, répliqua le fossoyeur ; ajoutant d’un ton à moitié compatissant et à moitié grondeur, mais sans être entendu de son vieux compagnon : Vous devenez bien sourd, Davy, terriblement sourd. »

Ce dernier, interrompant sa besogne, se mit à nettoyer sa bêche avec un morceau d’ardoise qu’il avait sous la main à cet effet, et grattant dans son opération l’essence d’autant de Becky Morgans que le ciel seul peut en connaître, il se mit à réfléchir sur cette matière.

« Laissez-moi y penser, dit-il ensuite. J’ai vu, la nuit dernière, qu’on avait écrit sur le cercueil… N’était-ce pas soixante-dix-neuf ans ?

— Non, non !

— Ah ! oui, c’était cela, reprit le vieillard avec un soupir. Car je me souviens d’avoir pensé qu’elle était à peu près du même âge que nous. Oui, c’était soixante-dix-neuf ans.

— Êtes-vous sûr de n’avoir pas mal lu, Davy ? demanda le fossoyeur, laissant voir sur ses traits une certaine émotion.

— Hein ? … dit l’autre ; répétez-moi cela.

— Il est très-sourd ! Il est tout à fait sourd ! s’écria vivement le fossoyeur. Êtes-vous sûr d’avoir bien lu ?

— Oh ! oui. Pourquoi pas ?

— Il est tout à fait sourd, murmura le fossoyeur ; et puis je crois qu’il tombe en enfance. »

Nelly se demandait avec quelque étonnement quelle raison le fossoyeur pouvait avoir de parler ainsi, quand, à dire vrai, son assistant n’avait pas moins d’intelligence que lui et était infiniment plus robuste. Mais le fossoyeur n’ayant rien ajouté de plus, Nelly ne donna pas suite à cette réflexion.

« Vous m’avez parlé, dit-elle, de vos travaux de jardinage. Est-ce que vous plantez quelque chose ici ?

— Dans le cimetière ? … Non, je n’y mets rien.