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il prolongea ce manège jusqu’à ce qu’il en fût fatigué. Enfin il se rendit au Désert, qui était situé à une portée de fusil de son palais de garçon ; là, il commanda, pour le soir, un thé pour trois personnes dans le berceau du bosquet. En effet, sa course et son billet avaient eu pour but d’engager miss Sally Brass et son frère à venir goûter les jouissances qu’on savourait en ce lieu.

Ce n’était pas précisément la saison où l’on a l’habitude de prendre le thé dans les tavernes d’été, moins encore dans les tavernes d’été délabrées, qui dominent les bords vaseux d’un grand fleuve à la marée basse. Néanmoins, ce fut dans ce lieu choisi que M. Quilp ordonna qu’on servît une collation froide ; et, à l’heure convenue, il recevait, sous le toit crevassé du berceau ruisselant d’humidité, M. Sampson avec sa sœur Sally.

« Vous aimez les beautés de la nature, dit Quilp avec une grimace. N’est-ce pas, Brass, que c’est charmant ? N’est-ce pas que c’est nouveau, pur et primitif ?

— C’est délicieux, en effet, monsieur, répondit le procureur.

— Un peu frais ? dit Quilp.

— Non… non, pas tout à fait, ce me semble, monsieur, répondit Brass, dont les dents claquaient de froid.

— Peut-être un peu humide et fiévreux ? dit Quilp.

— Juste assez humide pour être agréable, répondit Brass ; mais rien de plus, monsieur, rien de plus.

— Et Sally ? ajouta le nain ravi de plaisir ; aime-t-elle cet endroit ?

— Elle l’aimera mieux, répondit la virago, quand elle y prendra le thé : faites-nous-le servir, et ne m’ennuyez pas davantage.

— Douce Sally ! s’écria Quilp faisant un geste comme pour l’embrasser ; gentille, charmante, ravissante Sally !

— C’est un homme vraiment remarquable ! dit M. Brass dans un de ces apartés dont il avait l’habitude ; c’est vraiment un troubadour ! vous savez, un troubadour ! »

Brass semblait laisser tomber ces compliments comme sans y songer, à son propre insu ; mais le malheureux procureur, outre le froid terrible qu’il ressentait à la tête, avait été mouillé en chemin, et il eût volontiers consenti même à un sacrifice pécuniaire, pour échanger le lieu humide où il se trouvait contre une bonne chambre bien chaude, où il pût se sécher devant un